« L’Europe est inachevée et nous en souffrons »
Quelles conclusions tirez-vous des résultats des élections européennes?
CLes résultats ne peuvent que susciter l’inquiétude des Européens convaincus, dont je fais partie. De multiples causes en sont à l’origine : le contexte de la crise, qui a pesé sur toute l’Europe, mais je pense qu’il existe des causes plus lointaines et plus profondes.
Les premières fractures se sont faites sentir en 1992, lors du traité de Maastricht, avec le référendum où le « Oui » est passé de justesse. Un fossé commençait à se créer entre les décideurs communautaires et les citoyens : une mauvaise communication, un manque de transparence, le fameux « Qui fait quoi ? », l’image prégnante d’une bureaucratie européenne qui, comme un bulldozer, lamine tout…
Tout cela, et il faut le dire ouvertement, avec l’habitude de faire de l’Europe le bouc émissaire de tout ce qui n’allait pas ! Cela a fini, tel un poison, par s’insinuer dans l’esprit des Européens, et des Français en particulier ! Sans parler des directives très générales que la France transposait de manière beaucoup plus sévère au nom du principe de précaution. Je ne critique pas ce principe, mais il faut garder raison.
De plus, les citoyens ont cru que la crise venait de l’euro, alors qu’il faut rappeler qu’elle a commencé aux États-Unis, avec l’affaire Lehman Brothers, que les Américains ont laissé plonger, mais cela est inaudible.
Les Européens ont toujours été sur la défensive, avec une pudeur de ne pas mettre en exergue ce qui était positif, alors qu’aux yeux du reste du monde, l’Union européenne représente quelque chose.
Il est vrai que des erreurs ont été commises, avec trop de réglementations, mais en fait, la réalité est toute autre : l’Europe est inachevée et nous en souffrons.
N’y a-t-il pas confusion pour les citoyens européens entre la commission, le Conseil, le Parlement…
Je le vois avec les étudiants de la Chaire Jean Monnet que la Commission m’a confiée, où je dois déployer des trésors de pédagogie. Mais si l’on interrogeait les gens sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale, l’initiative des projets de loi ou les compétences entre les conseils généraux et régionaux, je ne suis pas sûre que nous aurions des réponses très claires.
Le vrai problème reste que l’Europe est inachevée et n’a pas les compétences nécessaires pour intervenir dans des domaines où les citoyens l’attendent : la protection sociale, le chômage, l’immigration, la politique extérieure, le domaine énergétique. On le voit sur ce dernier point avec la crise ukrainienne et notre dépendance à l’égard du gaz russe.
Cela fait des années que j’appelle de mes vœux la constitution de champions européens. Quand j’étais ministre de l’Industrie, avec mon homologue allemand, nous avions essayé de marier ensemble Alstom et Siemens dans un partenariat gagnant-gagnant. Mais les pays avaient le sentiment qu’une politique industrielle commune était trop protectionniste, et le gouvernement allemand n’était pas partant. Il est vrai que nous avons des divergences, ne serait-ce qu’au niveau des exportations.
Ne faudrait-il pas un projet global européen, sur le plan environnemental à titre d’exemple ?
L’environnement est l’un des domaines où nous avons une vraie compétence avec l’adoption du plan énergie-climat, les fameux 3-20 : 20 % d’énergies renouvelables, 20 % de CO₂ en moins et 20 % d’accroissement de l’efficacité énergétique d’ici à 2020.
Mais l’emploi et l’immigration sont les sujets les plus importants. On le voit avec les jeunes qui se sont soit abstenus, soit ont voté pour le Front National. Cependant, je reste optimiste et je citerai Jean Monnet : « L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises. »
Nous en sommes à 28 pays membres, ne faudrait-il pas une Europe à géométrie variable ?
Non, je ne pense pas que cela soit possible. En revanche, il devrait y avoir une intégration plus forte des pays de la zone euro, car cette Europe-là existe. Ces pays ont une monnaie unique, mais il y a une absence totale de coordination. Des politiques économiques, budgétaires et fiscales divergentes ne sont plus possibles. C’est une aberration !
Cela a fonctionné pendant quelques années, mais avec la crise, les carences sont apparues au grand jour. Des experts réfléchissent à une politique commune de relance des investissements, à des règles communes et à des projets d’investissements. Il faut être imaginatifs.
Concernant la politique française, vous soutenez à l’UDI la candidature de Jean-Christophe Fromantin à la Présidence du parti… Pour quelles raisons ?
Je vais revenir en arrière avec des souvenirs très forts. En avril 2002, après le séisme provoqué par la présence de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle, Jacques Chirac nous avait réunis. La décision a été prise de fusionner, et l’UMP a été créée. Mais beaucoup auraient aimé que les sensibilités politiques puissent être mieux représentées, respectées et intégrées. Cela n’a pas été le cas.
Je ne fais de reproches à personne, mais c’est une réalité. Cela s’est accéléré avec les fractures au sein de l’UMP, avec la stratégie droitière et surtout le flottement total sur le positionnement européen. Il s’est alors produit un petit miracle : Jean-Louis Borloo a réussi l’exploit de nous réunir avec un grand enthousiasme en 2012 sur un positionnement très clair : « Nous sommes dans l’opposition, nous avons des divergences de fond avec les socialistes et nous sommes des partenaires de l’UMP, mais pas une force d’appoint. »
Le départ regretté de Jean-Louis Borloo nous place dans la position d’élire un successeur. Jean-Christophe Fromantin a un grand avantage : c’est un homme nouveau, et en même temps, il a fait ses preuves !
Je pense que nous avons vraiment besoin de donner un sens nouveau à la politique, car les gens sont écœurés. Ils ont l’impression que ce ne sont que des petits jeux politiciens et que le personnel politique ne prend pas en compte l’intérêt des Français. Dans ces conditions, Jean-Christophe Fromantin peut donner de l’oxygène. Il a mené une campagne qui n’était pas simple.
Il a un défaut qui est en réalité une qualité : il ne fait pas partie de la meute. Et je sais ce que c’est !
C’est un homme indépendant et il l’a montré dans certaines circonstances. Il travaille à des projets, il privilégie le fond et lance un certain nombre d’idées qu’il soutient avec conviction. Je pense que, à cet égard, il est un héritier de la tradition démocrate-chrétienne que je présente et que j’ai représentée avec Jacques Barrot. Toutes ces raisons font que je le soutiens.
Propos recueillis par
Patricia de Figueirédo