« L’interface science et sociétés est au centre de la vocation de
l’UNESCO, particulièrement les interfaces eau et biodiversité »
Rentrant de la Conférence des Nations Unies organisée à Kobé, au Japon, sur la prévention des catastrophes naturelles, l’Asie du Sud-Est a été au cœur des débats. J’en tire pour ma part cinq enseignements majeurs. Le premier, c’est l’importance des systèmes d’observation de la Terre, qui nous permettent non seulement de mesurer, mais aussi d’évaluer et d’analyser son évolution et de faire ainsi progresser notre compréhension de sa complexité. Le second enseignement, c’est que si les sciences et les technologies jouent un rôle essentiel dans nos capacités de prévision des catastrophes naturelles, elles ont leurs limites : on ne peut empêcher que les catastrophes naturelles surviennent, mais nous devons nous y préparer, par une formation et une éducation adéquates, qui peuvent en atténuer les conséquences. Le troisième enseignement, c’est que si nous ne pouvons empêcher la catastrophe naturelle, des systèmes d’alerte précoce peuvent en limiter les conséquences sur les vies humaines. De tels systèmes existent dans certaines régions et fonctionnent. C’est ce qui a cruellement fait défaut dans l’Océan Indien. Le quatrième enseignement, c’est que l’accès à la science et aux technologies est aujourd’hui limité à quelques-uns, alors qu’ils devraient bénéficier à tous. Le système des Nations Unies se mobilise en ce sens et l’UNESCO joue un rôle important dans cette mobilisation. Enfin, le dernier enseignement est celui du rôle clé que jouent des écosystèmes en bonne santé pour diminuer l’ampleur de telles catastrophes. Le PNUE a créé un groupe d’experts pour assister les pays touchés à évaluer les effets du raz-de-marée sur les écosystèmes, groupe auquel l’UNESCO participe également. Mais si les écosystèmes sont parfois cruellement touchés par les catastrophes naturelles, ils le sont aussi, bien trop souvent, par l’activité humaine.
Dès sa création, voici bientôt soixante ans, l’UNESCO a compris l’enjeu de la coopération scientifique. Elle a mis sur pied un certain nombre de programmes intergouvernementaux qui mobilisent des chercheurs et des institutions scientifiques dans le monde entier, sur des thèmes traitant de la diversité du vivant, des gènes jusqu’à la biosphère. Assurer un environnement durable implique de savoir aborder la complexité des enjeux socio-économiques, culturels, éthiques et bien entendu scientifiques de la biodiversité. Les programmes de l’UNESCO dans le domaine de la biodiversité portent sur l’eau, les écosystèmes marins, côtiers et terrestres, les sciences fondamentales et les biotechnologies, ainsi que la mise en place de systèmes d’observation et de surveillance des changements globaux. L’interface science et société est au centre de la vocation de l’UNESCO, particulièrement les interfaces eau et biodiversité. De plus, les relations étroites entre diversité culturelle et diversité biologique sont l’objet d’une attention toute particulière pour l’UNESCO. Les travaux des chercheurs doivent fournir les bases scientifiques rationnelles pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique. Mais aussi performante que soit la recherche, il reste les insuffisances de nos savoirs sur nos besoins futurs, dans un monde profondément dynamique et interdépendant, qui fait face à une érosion alarmante de la biodiversité. Ainsi, malgré l’accumulation des connaissances, malgré les facilités accrues de communication et les nouvelles technologies d’information dont nous disposons, certes encore de manière inégale, malgré la mise en place d’instruments normatifs comme la Convention sur la diversité biologique et les outils de conservation comme les aires protégées, malgré l’intérêt croissant de la société civile pour l’environnement et la biodiversité, les scientifiques nous rappellent sans cesse que la biodiversité disparaît à un taux alarmant. Comment expliquer ce paradoxe ? La science ne dispose-t-elle pas suffisamment de moyens pour travailler sur ces questions ? Les scientifiques n’arrivent-ils pas à se faire entendre des décideurs et des autres acteurs de la société ? Leurs résultats et leurs recommandations ne sont-ils pas appliqués, ou pas applicables ? Le rôle et la place du discours scientifique dans nos sociétés, en particulier en ce qui concerne la biodiversité, dépassent l’enjeu scientifique et dépendent d’une multitude d’acteurs, qui revendiquent une légitimité et un rôle à jouer. Je pense notamment au rôle croissant de certaines ONG, au secteur privé, aux agences de financement, aux communautés autochtones, ainsi qu’à l’augmentation du nombre d’acteurs de la société civile au sens large. Cette augmentation du nombre d’acteurs, leurs différentes légitimités et intérêts, les relations des uns avec les autres, ont des implications essentielles sur la conservation effective et l’utilisation durable de la diversité biologique tant au niveau local que national et international.
Faire progresser les connaissances, y compris par l’établissement de systèmes d’observation et de prévention des dynamiques écologiques et sociales ; faciliter le partage du savoir grâce à l’éducation et à la communication ; permettre un dialogue constructif entre acteurs et la promotion de nouveaux partenariats, ce sont autant de défis que poursuit l’UNESCO. Ils nécessitent des moyens, tant humains que financiers. Or les budgets pour la recherche sont souvent très limités. Comment mieux financer la recherche et comment peut-elle profiter des financements importants investis dans la conservation ? C’est une question pour laquelle l’UNESCO apportera son expérience, notamment dans le domaine de la mobilisation de financements et la création de partenariats novateurs avec le secteur privé. Les compétences des individus et des institutions dans les domaines scientifiques doivent également être renforcées. Le programme des Chaires UNESCO, l’attribution de bourses à des jeunes scientifiques, le soutien à des instituts et centres de formation dans les domaines des ressources en eau et de la foresterie sont autant de pistes sur lesquelles l’UNESCO travaille. Mais l’accumulation des connaissances doit être couplée avec la mise en place de systèmes d’observation et de prévention des dynamiques écologiques et sociales. C’est l’une des fonctions des sites de démonstration et d’observations permanentes que sont les réserves de biosphère du Réseau mondial du programme MAB (459 sites dans 97 pays) et des travaux du Programme international des géosciences (PICG) sur la biodiversité à l’échelle géologique. C’est également le rôle du Réseau mondial de surveillance des récifs coralliens, et des systèmes d’alarme précoce dans l’océan mis en place par la Commission océanographique intergouvernementale de l’UNESCO (COI), ainsi que leurs travaux sur la biodiversité des Grands écosystèmes marins (GEM).
Mais les enjeux liés à la biodiversité sont également de nature géopolitique, et peuvent aboutir à des situations conflictuelles graves. L’UNESCO, à travers son action en matière d’éducation, de culture, de science et de communication, s’attache également à la prévention de tels conflits. La décennie des Nations Unies pour l’éducation en vue du développement durable, lancée cette année et dont l’UNESCO assure le rôle de chef de file pour les Nations Unies, sera l’occasion de renforcer notre action à cet égard. L’impact des nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui permettent une meilleure surveillance et un traitement plus performant des nombreuses données sur la biodiversité, ne doit pas non plus être négligé. Les implications politiques, économiques, sociales et éthiques des connaissances scientifiques pour la biodiversité doivent être entendues par tous. Traduire ces recommandations et les résultats de la recherche scientifique en actes concrets, en adoptant des modes de vie plus respectueux de l’environnement et des approches innovantes sur le terrain, en favorisant des interactions entre la société, le secteur privé, les décideurs et les scientifiques sur ces questions, sont autant de pistes sur lesquelles il nous faut avancer. Il est essentiel d’établir un dialogue permanent et constructif, de construire des ponts entre les différentes disciplines scientifiques et entre les différents acteurs, et de mieux définir le rôle de chacun dans cet objectif de conservation et d’utilisation durable de la biodiversité. Vous pouvez compter sur l’UNESCO pour relever ce défi.