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« Nous devons avoir une approche moins dogmatique, plus pragmatique »

Péter Szijjarto, Ministre des Affaires étrangères de la République de Hongrie

Monsieur le Ministre, sommet après sommet, l’Europe vit toujours à l’heure des désaccords… Existe-t-il une solution pour mettre fin à ce problème endémique ?

Je ne pense pas que nous devrions considérer le fait qu’il y ait des débats au sein de l’Union européenne comme un problème. Le débat fait pleinement partie de la démocratie, dont le rôle est d’embrasser des approches différentes, des positions variées, des consultations et du dialogue. Le fait qu’il y ait des discussions ou des controverses sur diverses questions doit donc être considéré comme naturel. En revanche, le fait que des bureaucrates ou des dirigeants d’États membres veuillent retirer à certains pays le droit de contester ou de critiquer n’est pas très démocratique. Pour dire les choses clairement, nous plaidons en faveur d’une Union européenne forte, mais nous sommes convaincus que l’UE ne peut l’être que si les États membres eux-mêmes sont forts. S’il s’agit en effet de consolider Bruxelles et d’affaiblir les États membres, c’est précisément la mauvaise voie pour y parvenir.

La Hongrie et l’Autriche sont souvent pointées du doigt pour mener une politique anti-immigration extrêmement dure…

Vous avez raison, nous appliquons une politique anti-immigration très stricte et avons affirmé très clairement que c’est notre droit exclusif de choisir qui est à même d’entrer ou non sur notre territoire. Nous estimons pouvoir décider légitimement avec qui nous voulons vivre ou non. Nous tenons à préserver notre patrimoine culturel, historique et religieux. Ce n’est donc ni Bruxelles ni New York qui peut nous ôter notre droit à décider quoi que ce soit. Il suffit de regarder ce qui s’est passé en Europe de l’Ouest. Le rêve d’une intégration sociale réussie a complètement échoué. Des sociétés parallèles se sont créées, la menace terroriste augmente et de nouvelles formes d’antisémitisme se développent. Cela aurait pu et aurait dû être évité en empêchant des millions d’immigrés illégaux d’entrer en Europe.

Le Pape François a déclaré à deux reprises que derrière les migrants – qu’il faut absolument sauver – pouvaient se cacher des terroristes. Êtes-vous surpris par ses propos ?

En tant que catholique romain moi-même et très discipliné, je ne vais pas entamer de débat avec le Saint-Père. Tout ce que je sais, c’est qu’il y a des organisations terroristes qui, effectivement, peuvent bénéficier de ce flux massif de migrants. Ce flux incontrôlé représente pour les terroristes une formidable opportunité de se dissimuler et leur offre la possibilité non seulement de se déplacer, mais aussi de diffuser largement leur idéologie.

Pensez-vous que l’Europe et l’Occident, dans leur ensemble, vont devenir des cibles systématiques des terroristes ?

Ce que je pense, c’est que des groupes sociaux, issus d’une certaine origine, refusent de s’intégrer et espèrent prendre le pouvoir en faisant beaucoup de bruit, alors que la majorité souhaite préserver son mode de vie séculaire. Le problème majeur réside dans le fait qu’aucun des documents des Nations Unies ou de l’UE sur l’immigration ne reconnaît le droit des pays qui désirent rester en dehors de ce phénomène, qui est dangereux tant sur le plan culturel que pour la sécurité et la santé.

Conseilleriez-vous à des pays comme la France de fermer des mosquées et d’expulser les imams radicaux tenant des discours djihadistes ? C’est en tout cas ce qu’a fait le Chancelier autrichien Sebastian Kurz…

Les Français ne me paient pas pour leur apporter des suggestions. Cependant, j’ai le sentiment que le Président Macron a modifié sa vision des choses en ce qui concerne les migrants, probablement en réaction aux récents événements survenus en Europe et particulièrement en France. Le fait que les valeurs chrétiennes soient menacées et attaquées est nouveau et inacceptable. Nous devons agir, c’est notre dernière chance !

Ne pensez-vous pas que l’Europe gagnerait en crédibilité si elle bénéficiait d’un système commun de politique, d’économie et de défense ?

C’est un débat ancien qui perdure aujourd’hui. Je pense que le principal avantage de l’intégration européenne réside dans le marché unique, qui renforce considérablement les pays. La zone Schengen est un succès : la liberté de mouvement des marchandises, des personnes et des travailleurs est une réussite majeure bénéficiant à tous les participants. L’Europe pourrait accroître sa crédibilité en cessant de donner des leçons, tant aux pays internes qu’externes. En tant que petit État d’Europe centrale, nous tirons des leçons de l’histoire : à chaque conflit entre l’est et l’ouest, nous avons toujours été perdants. Nous ne sommes pas naïfs ! C’est pourquoi nous soutenons une approche pragmatique des relations est-ouest. Nous favorisons les relations entre l’UE et l’Eurasie ou la Chine non parce que nous sommes des espions, comme on l’a souvent insinué, mais parce que nous défendons nos intérêts. Il est intéressant de noter que 14 des 16 entreprises chinoises en Hongrie sont en fait des filiales de groupes européens acquises par des entreprises chinoises. Tout ceci montre parfois une certaine hypocrisie : ceux qui critiquent ouvertement la Chine et la Russie sont parfois engagés dans des affaires discrètes avec eux.

Selon vous, l’Europe doit-elle se rapprocher de Poutine ?

Nous avons, je le répète, une approche stratégique envers tous les partenaires qui pourraient bénéficier à l’UE. Il est important de rappeler que de nombreux pays européens achètent de l’énergie à la Russie, principalement du gaz, tandis que l’Europe dispose de technologies très avancées. En imaginant une association de ces deux atouts, cela pourrait indubitablement devenir un élément positif. J’essaie simplement de ne pas être dogmatique. Il est crucial de promouvoir les relations entre l’est et l’ouest à notre époque. Alors que l’humanité entière est confrontée à d’immenses défis et que nous devons sauver un grand nombre de vies à un rythme effréné, nous devons être plus que jamais prêts à coopérer.