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« Nous ne devons pas baisser la garde »

Thorbjørn Jagland, Président du Comité Nobel et Secrétaire général du Conseil de l’Europe
En tant que Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, l’organisation qui rassemble 47 pays européens, dont tous les États membres de l’UE et la Fédération de Russie, je souhaitais faire part au Journal du Parlement de quelques réflexions… L’entrée en vigueur du Traité du Lisbonne permet à l’UE d’adhérer à la Convention européenne des droits de l’Homme. Cette future adhésion est un événement de la plus haute importance politique et juridique, non seulement pour l’UE ou le Conseil de l’Europe, mais aussi pour l’Europe entière. Elle créera un espace de protection des droits de l’Homme qui s’étendra de Lisbonne à Bakou et de La Valette à Vladivostok en passant par Bruxelles. En acceptant de soumettre les actions de ses Institutions aux mêmes règles et aux mêmes contrôles que ceux applicables à tous les pays européens – à la regrettable exception du Belarus – l’Union européenne envoie un message fort : à savoir que l’Europe est en train de changer et que les plus influents et les plus puissants sont disposés à assumer leur part de responsabilités dans la mise en œuvre de ce changement. De très importants changements – d’ailleurs liés au précédent – se produisent également dans la Fédération de Russie. Quelques semaines après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, le Douma d’Etat a voté la ratification du Protocole 14 à la Convention européenne des droits de l’Homme. Les signaux que nous avons reçu de Moscou ces derniers mois pointent tous dans la même direction : la Russie voit son avenir dans l’Europe. L’adhésion de l’UE à la Convention européenne des droits de l’Homme et la ratification du Protocole 14 à cette Convention par la Russie ont un effet cumulatif positif. Ils aident à rassembler tous les acteurs en Europe – y compris les Institutions de l’UE – au sein du même système de normes juridiquement contraignantes et sous le contrôle de la même Cour. L’adhésion va contribuer à dépolitiser et à dédramatiser les relations entre l’Union européenne et des pays comme la Fédération de Russie sur le terrain des Droits de l’Homme. Est-ce pour autant que s’ouvre à nous un chemin de roses ?… Rien n’est moins sûr. Mais nous tenons là une occasion d’opérer un tournant historique dans la coopération en matière de sécurité et de stabilité démocratique. Je ne vois aucun objectif auquel l’UE et le Conseil de l’Europe en tant que gardien de la Convention européenne des droits de l’Homme pourraient davantage aspirer. C’est pourquoi nous ne pouvons nous permettre de manquer cette occasion ! J’ai présenté un vaste train de réformes aux Ambassadeurs des 47 Etats membres. Le point de départ d’un tel processus consiste à définir clairement nos atouts comparatifs :

  • Le Conseil de l’Europe s’attache à défendre des valeurs européennes communes, sans devoir se préoccuper de questions économiques, militaires et géostratégiques et jouit d’une forte légitimité pour mener à bien ses activités normatives et assurer le suivi des obligations contractées par les Etats membres.
  • Le Conseil de l’Europe est la seule organisation paneuropéenne couvrant l’ensemble du continent. Ce n’est pas le cas de l’UE, même si l’on prend en compte les pays candidats et les pays associés. L’OSCE, quant à elle, comprend des pays non-européens qui n’ont pas forcément une vision identique à la nôtre.
  • Le Conseil de l’Europe est la seule Institution qui a pour mission d’assurer le suivi du respect des obligations en matière de droits de l’Homme, de démocratie et d’Etat de droit.
  • Le Conseil de l’Europe est la seule structure internationale intergouvernementale dotée d’une Assemblée parlementaire qui est investie officiellement d’un rôle important qu’elle exerce en influant sur les travaux et le processus de décision de l’Organisation.
  • Le Conseil de l’Europe est une base extraordinaire de connaissances et d’informations. Il dispose d’instruments de suivi, est présent sur le terrain, rassemble des Parlementaires de tous les pays, entretient des relations privilégiées avec les autorités locales et régionales et coopère étroitement avec la société civile.

Le Conseil de l’Europe et tous les organes qui en font partie, en commençant par l’Assemblée parlementaire doivent jouer un rôle politique important. Nous sommes les gardiens de la Convention européenne des Droits de l’Homme et le processus de réforme a pour seul but de nous donner les moyens de mener à bien cette tâche… Il ne s’agira pas d’une réforme administrative mais politique. Il y aura, bien sûr, des changements administratifs, mais ils seront motivés par des objectifs politiques et non le contraire. D’autre part, elle est conçue dans la perspective d’un maintien de la pression sur notre budget.

Elle répond aux objectifs suivants :

  • Revitaliser le Conseil de l’Europe en tant qu’organe politique et organisation novatrice.
  • Concentrer nos travaux sur un nombre plus restreint de projets, sélectionnés en fonction de leur forte valeur ajoutée et de leurs avantages spécifiques.
  • Développer une organisation souple qui soit aussi plus visible et plus adaptée aux besoins des citoyens européens.

À cette fin, la première étape repose sur quatre piliers interdépendants…

Le premier d’entre eux est une meilleure gouvernance.

La responsabilité en la matière incombe essentiellement au Comité des Ministres, mais aussi l’Assemblée. Les relations entre ces deux organes doivent faire l’objet d’une meilleure gouvernance. S’agissant du Secrétariat, je consoliderai notre action en renforçant la direction générale des affaires politiques. Nous devons aussi revoir la communication de manière globale.

Nous créerons également un nouveau service du Budget et du Programme. Nous devons, en outre, évaluer notre action. À cette fin, nous avons besoin d’un nouvel instrument de contrôle de la qualité.

Le deuxième pilier est d’ordre opérationnel. Il nous faut revoir le programme d’activités en nous concentrant sur leur portée et leur valeur ajoutée. Nous devons faire ce que les autres ne savent pas et tendre vers des projets et programmes moins nombreux et plus efficaces. Nous devons également revoir notre présence sur le terrain, l’objectif étant de créer un réseau de Bureaux du Conseil de l’Europe qui ne seraient plus considérés comme des structures secondaires et ponctuelles.

Le troisième pilier concerne nos structures. Le Secrétariat doit être structuré afin de réaliser les objectifs politiques de l’Organisation, de faciliter la transversalité et la coordination, tout en gardant à l’esprit la nécessité d’instaurer un bon rapport coût/efficacité.

Le quatrième concerne la Convention européenne des droits de l’Homme, principal pilier de notre organisation. C’est pourquoi la CEDH a été qualifiée de ”joyau de la couronne” du Conseil de l’Europe. Nous devons entreprendre des réformes de manière à ce qu’elle puisse traiter plus efficacement toutes les requêtes. Et si le protocole 14, on l’a vu, ouvre la voie à des réformes nécessaires, elles ne suffiront pas. Il faut faire plus et nous devons employer tous les instruments à notre disposition pour améliorer les systèmes judiciaires des Etats membres afin que la Cour ne soit plus saisie d’un aussi grand nombre d’affaires. La seule chose que nous ne pouvons pas faire, c’est de continuer à transférer des ressources budgétaires du programme d’activités vers la Cour.

Malgré les erreurs et certains détours tragiques, l’Europe, en tant que projet de paix, a bien fonctionné. L’Histoire est toujours en marche et la démocratie règne. Toutefois, comme les événements nous le rappellent quotidiennement, il n’y a jamais de victoire irréversible. Nous ne devons pas baisser la garde. C’est là tout l’enjeu de la Réforme du Conseil de l’Europe.