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Zine El-Abidine Ben Ali, Président de la République de Tunisie

Monsieur le Président, le 7 novembre 2007 il y aura vingt ans que vous avez accédé à la magistrature suprême. Selon vous, en quoi la société tunisienne a-t-elle changé depuis ce jour ?

Nous avions, dès l’aube du Changement, agi pour restaurer la confiance et instaurer un esprit de réconciliation et de consensus, sachant que rien ne peut-être fait sans le concours actif de la Nation et l’adhésion individuelle et collective des citoyens. Nous avons œuvré à restaurer les valeurs républicaines qui sont d’abord une exigence de progrès et de justice. La société se modernise, elle est entreprenante et solidaire. Nous avons développé l’esprit d’initiative et cultivé le goût de l’entreprise et de l’effort pour libérer les forces vives qui créent la richesse et font la croissance. Notre administration est moins pesante. Par ailleurs, nous avons instauré le pluralisme et élargi le champ des libertés et de la pratique démocratique. Notre vision de la démocratie tient compte de l’histoire et de la culture de notre pays, c’est-à-dire de ses spécificités, en même temps qu’elle intègre les impératifs du pluralisme, de liberté et de défense des droits de l’Homme. Ce sont là des valeurs universelles. Ce fut pour nous une tâche exaltante, tant elle nous a permis, au plan politique, de mettre en place des réformes qui ont jeté les bases d’un système pluraliste où cohabitent, aujourd’hui, neuf partis politiques de tendances diverses.

Nous avons restauré la souveraineté du peuple, qui choisit désormais en toute liberté ses dirigeants, lors d’élections transparentes et régulières qui ont lieu tous les cinq ans. Il faut se rappeler que c’est bien au cours de ces deux décennies que, pour la première fois dans l’histoire de la Tunisie, des élections présidentielles pluralistes ont été organisées, que les partis de l’opposition ont accédé à la Chambre des députés et que le pouvoir législatif a été renforcé par la création d’une Chambre des conseillers. Pour la première fois également, le peuple a eu à exercer sa souveraineté directement, par référendum, en se prononçant sur la réforme de la Constitution. Je rappelle aussi les décisions prises en matière de financement des partis politiques et d’aide à la presse du parti, l’amendement électoral et les innombrables réformes et mesures destinées à promouvoir les conditions de l’exercice démocratique et à en développer le processus. Ainsi, nous avons fait de la Tunisie d’aujourd’hui un État de droit, nanti d’institutions solides qui assurent au pays la stabilité dont il a besoin. Au plan économique, les indicateurs sont révélateurs de l’étendue des progrès que nous avons pu accomplir dans une conjoncture mondiale pourtant difficile. Ces performances attestent que nous sommes passés du stade de pays en développement à celui de pays émergent. La vitalité de notre économie est incontestablement un des points forts du Changement du 7 novembre. Classée 1ère en Afrique et 29ème mondiale en termes de compétitivité, la Tunisie se place parmi les 80 pays les plus avancés du monde. Notre Nation a pu, outre la réduction du taux d’inflation à un niveau très bas et la compression du déficit budgétaire pour le maintenir à 2,9 % du PNB, assurer pendant une longue période une croissance économique soutenue, qui a avoisiné 5 % en moyenne annuelle sur deux décennies, ce qui nous a permis de multiplier par 6 le PIB. Nous avons veillé à faire en sorte que les fruits de cette croissance soient équitablement répartis entre tous les Tunisiens. Les enquêtes sur les dépenses et la consommation des ménages indiquent, quant à elles, une amélioration progressive du niveau de vie des Tunisiens. C’est ainsi que la part que représente la classe moyenne a été renforcée et couvre désormais plus des trois quarts de la population. La réforme de notre politique sociale a fait reculer la pauvreté, qui ne concerne plus aujourd’hui que 3,8 % de la population, contre le double il y a vingt ans.

L’esprit de solidarité a été revitalisé faisant de la société tunisienne une société à visage humain. Nous avons en effet renforcé le volume des transferts sociaux qui s’établit aujourd’hui à plus de 56 % du budget global de l’État. En outre, nous avons élargi notablement la couverture sociale dont le taux dépasse désormais 90 % contre 54,6% en 1987, développé notre système de santé et modernisé l’éducation et la formation. Nous sommes déterminés à maintenir le cap et à persévérer dans cette voix, en vue de hisser la Tunisie au niveau des pays développés. Nous savons que ce sera dur, mais nous savons que c’est possible. Nous sommes fiers évidemment d’avoir pu assurer l’intégration de la femme dans la dynamique générale du développement. Aujourd’hui, le principe de l’égalité entre l’homme et la femme est expressément garanti par les textes constitutionnels et législatifs. Différents indicateurs attestent de ce statut remarquable de la femme. Elle assume désormais un rôle plus actif et des plus déterminants dans tous les domaines, en consécration de notre approche politique globale qui se fonde essentiellement sur la consolidation des droits de la femme en tant que partie intégrante des droits de l’Homme. Les femmes constituent près du quart de la population active en Tunisie. Les taux de représentation féminine sont de 22,7 % à la Chambre des députés, de plus de 15 % à la Chambre des conseillers, de plus de 27 % aux conseils municipaux, de 18 % au Conseil Économique et Social, de 13,3 % au Conseil supérieur de la magistrature et de 12 % au sein des cabinets ministériels. Les femmes représentent également 27 % des magistrats, 31 % des avocats, 42 % du corps médical, 72 % des pharmaciens et 34 % des journalistes. La femme est aussi fortement présente dans le secteur public et dans la vie associative.

Nous sommes également fiers d’avoir réalisé un développement soutenu et harmonieux qui a profité à toutes les couches de la société ainsi qu’à toutes les régions du pays. Nous nous félicitons en particulier des succès obtenus en matière de lutte contre la pauvreté, laquelle a été ramenée à 3,8 %. Nous prônons une économie ouverte, fondée sur l’encouragement de l’initiative privée et la création de richesses. Notre approche vise l’instauration d’une société équilibrée, cohérente et solidaire. C’est ainsi que les investissements dans les secteurs sociaux, notamment en matière d’éducation, de santé et de promotion de la condition de la femme, mobilisent plus de la moitié du budget de l’État.

Que répondez-vous à certaines organisations internationales non gouvernementales qui reprochent à la Tunisie de ne pas respecter les droits de l’homme et la liberté de la presse ?

Nous avons fait, dès le départ, le choix de la démocratie et de la promotion des droits de l’Homme et des libertés publiques. Ces choix, nous les avons rendus irréversibles en les inscrivant dans notre Constitution et en veillant à ce qu’ils soient scrupuleusement respectés dans la pratique. Nous continuons notre progression dans ce domaine, comme dans d’autres, avec la ferme conviction que les droits de l’Homme sont un tout indivisible que l’on ne saurait fractionner en dissociant ou en privilégiant les uns au détriment des autres et que la démocratie est une œuvre de tous les jours qui peut avancer à des rythmes différents d’un pays à l’autre, en fonction de nos spécificités et de nos réalités. Autant nous respectons ceux qui ont des évaluations différentes de la nôtre et accueillons favorablement toute appréciation objective, autant nous rejetons les jugements excessifs sans relation avec les réalités tunisiennes et qui d’évidence tendent à déformer l’image du pays. Nous continuerons de progresser avec assurance sur la voie de la démocratie dans notre pays et nous sommes conscients qu’il nous reste encore du chemin à faire.

Au niveau de la presse, nous avons pris de nombreuses mesures en vue de diversifier le paysage médiatique et de protéger davantage la liberté d’opinion. Ainsi, le Code de la presse, promulgué par la loi du 28 avril 1975, a été amendé à quatre reprises (1988, 1993, 2001 et 2006) dans un sens encore plus libéral, notamment par la suppression du délit de diffamation de l’ordre public, l’abrogation de la procédure de dépôt légal pour les publications nationales d’information. L’objectif de ces amendements est de permettre aux journalistes d’assumer leur rôle en toute liberté et de bénéficier d’un climat adéquat pour exercer et faire du secteur de l’information un espace de dialogue, d’échange et de discussion sur des thèmes et des questions qui engagent le devenir du pays et la défense de ses acquis. Des subventions sont en outre accordées par l’État aux journaux d’opinion et notamment à ceux de l’opposition qui paraissent en toute liberté et contribuent à l’animation de la vie intellectuelle politique dans notre pays. Le paysage audiovisuel s’est quant à lui enrichi par le lancement de radios entièrement privées, d’une radio culturelle et de chaînes de télévision privées. Des débats sont régulièrement diffusés en direct par les radios et télévisions publiques réunissant des représentants des partis politiques et de la société civile.

Lors de sa visite en Tunisie, le nouveau Président français a défendu l’idée d’une Union méditerranéenne regroupant les peuples du pourtour méditerranéen, dont naturellement la Tunisie. Qu’en pensez-vous ? Et comment voyez-vous l’avenir des relations tuniso-françaises ?

La Tunisie a été l’un des pays fondateurs du processus de Barcelone et a milité en faveur du rapprochement entre les deux rives de la Méditerranée. Elle a été aussi le premier pays de la rive Sud à conclure un Accord d’association avec l’UE. Il s’agit pour nous d’un choix volontaire et stratégique tendant à conforter notre engagement pour la modernité et à intégrer l’économie tunisienne dans l’espace euro-méditerranéen. La Tunisie sera d’ailleurs, à compter de janvier 2008, le premier de la rive Sud de la Méditerranée en zone de libre-échange avec l’UE. La Méditerranée a toujours été au premier rang des priorités de notre politique extérieure et nous soutenons tout projet susceptible de rendre la coopération méditerranéenne plus efficace. Nous sommes convaincus que pour réussir, ce projet doit impliquer l’ensemble des parties concernées et prendre en compte les priorités des uns et des autres sur la base d’un partenariat équilibré et solidaire entre les deux rives de la Méditerranée.

Quant à nos relations avec la France, elles ont été et sont exemplaires. Nos deux pays entretiennent des liens étroits d’amitié et de coopération, marqués par une tradition de concertation et de dialogue. La France est à la fois notre premier client et notre premier fournisseur. Elle est également le premier pays en termes d’investissements directs étrangers, hors énergie, et notre principal bailleur de fonds européen. Elle accueille en outre le plus grand nombre de ressortissants tunisiens établis à l’étranger. La visite en Tunisie du Président Sarkozy, quelques semaines seulement après son élection, témoigne de la volonté qui anime nos deux pays d’œuvrer de concert.

Dès les années 90, vous avez vu se profiler la menace de l’intégrisme… Avez-vous aujourd’hui le sentiment d’avoir évité à la Tunisie ce qui est arrivé dans d’autres pays ?

Profondément convaincus que le terrorisme représente une grave menace pour la paix et la sécurité dans le monde, nous avons, dès le début des années 90, attiré l’attention de la Communauté internationale sur la nécessité d’une coopération accrue pour y faire face. Nous avions à cet effet appelé à l’adoption par les Nations Unies d’un code de conduite engageant tous les pays dans un effort commun pour éradiquer ce fléau.
En Tunisie, nous sommes parvenus à nous prémunir contre l’intégrisme et la menace terroriste grâce à une stratégie qui repose sur la justice sociale, la réduction des inégalités et la promotion des couches les plus défavorisées. Nous y sommes parvenus, grâce également à l’ancrage des principes de modération, d’ouverture et de tolérance dans notre société. Notre système éducatif a été entièrement réformé et ses programmes mobilisés de façon à développer chez les jeunes générations le sens critique. L’œuvre de démocratisation continue, menée dans le pays, a favorisé l’émergence d’une société équilibrée et homogène. Notre pays apportera sa contribution au dialogue des cultures et des civilisations pour un monde meilleur où règneraient la paix et la sécurité.

La situation au Moyen-Orient n’a jamais été aussi explosive : le danger d’un éclatement de l’Irak, l’absence de processus de paix au Proche-Orient et ses répercussions régionales… Comment en voyez-vous l’issue ?

Certes, comme vous l’avez relevé, la situation dramatique au Moyen-Orient demeure une source d’inquiétude pour nous tous en raison des dangers sans cesse croissants et des risques qu’elle fait peser sur la région entière. Il importe que la Communauté internationale – et notamment les membres influents dont le Quartette – intensifie les efforts et mette tout son poids dans la balance pour réactiver le processus de paix, par la création d’un État palestinien viable, sur la base des résolutions onusiennes de la feuille de route de l’initiative arabe de paix.

L’administration américaine entreprend des efforts que nous encourageons pour relancer le processus de paix au Moyen-Orient. Nous espérons que ces efforts et notamment la conférence de paix qui a eu lieu récemment permettront de redonner l’espoir en une paix durable dans la région. Pour ce qui est de l’Irak, notre position reste la même. Elle consiste à appeler de nos vœux la mobilisation de tous les efforts pour mettre un terme à l’anarchie et aux violences qui endeuillent chaque jour ce pays frère, favoriser la réconciliation nationale, sauvegarder l’unité et l’intégrité territoriales de l’Irak et donner ainsi au peuple irakien la possibilité de se consacrer à la reconstruction nationale.

Propos recueillis par
Christian Malard et
Yasser Hawary