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“On ne peut pas négocier ou rationaliser avec ce type de régime !”

S.A.I Reza Pahlavi, Prince héritier d’Iran
Mosquée du Shah
La tour Azadi ou mémorial des rois (en persan : برج آزادی, Borj-e Āzādi) est l’un des symboles de la ville de Téhéran, la capitale de l’Iran.

Majesté, on parle beaucoup de cet accord intérimaire visant à geler le programme nucléaire iranien. C’est en tout cas l’un des grands espoirs de l’Occident, particulièrement des États-Unis… Quelques semaines après son entrée en vigueur, êtes-vous optimiste quant à l’avenir des relations avec l’Iran et ce régime des Ayatollahs ?

Avant tout, il faut déjà analyser le résultat de ces négociations… Au regard des récentes déclarations d’une part des éminences grises du régime et d’autre part des dirigeants importants de l’Occident, je pense que le climat devient tendu et qu’il persiste un manque de confiance dès le début. La vision si radicalement opposée entre Khomeini et l’Amérique a toujours mené à un gel des négociations. Cela ne semble pas avoir changé. Je me demande comment, dans un tel climat, nous pourrions véritablement parvenir à une conclusion positive, tant le mépris est marqué et la confiance entamée…

Quand Wendy Sherman, la Secrétaire d’État adjointe sous John Kerry, déclare que les Iraniens ne jouent pas vraiment le jeu dans le gel nucléaire, est-ce là un indice pour l’avenir ? Sommes-nous en train de nous diriger vers le pire ?

Ayant entendu le dernier discours du Président Barack Obama devant le Parlement américain, je dois avouer que c’est la première fois que j’ai entendu des mots de cette teneur. Le Président a clairement indiqué dans un passage concernant l’Iran que les négociations ne sont pas fondées sur la confiance, comme en témoignent les résultats obtenus. Cela reflète une attitude fondamentalement pessimiste, mais il est néanmoins essentiel de donner une chance à la diplomatie. En revanche, si la voie diplomatique échoue, il sera le premier à renforcer les sanctions, ce qui signifie qu’on se prépare non pas à des solutions, mais à une alternative en cas d’échec des négociations. Si l’on lit entre les lignes, cela suggère que chacun se prépare au pire scénario possible.

Une rupture ?

Disons un blocus qui ne permettrait pas d’apaiser cette tension liée au dilemme nucléaire iranien. De plus, tout nous laisse penser que si le problème ne peut être résolu diplomatiquement, nous retomberons dans un engrenage terrible. Serait-il nécessaire d’agir militairement ? Comme vous le savez, je l’ai toujours dit, ce n’est pas la bonne solution. Une meilleure approche consisterait à intégrer le peuple iranien dans le processus de résolution du conflit, ce qui n’a jamais été fait jusqu’à présent.

Est-ce que dans une telle situation, Benjamin Netanyahu, le Premier ministre israélien, qui ne s’entend pas avec Barack Obama, pourrait être tenté par une opération militaire unilatérale ?

Difficile de répondre à cette question, car je ne pense pas qu’en Israël il y ait déjà un consensus dans les discussions internes à ce sujet. Il existe deux camps : l’un en faveur d’une frappe préventive et l’autre beaucoup plus préoccupé par les conséquences pour Israël. Cependant, on ne peut jamais dire jamais ; cette éventualité pourrait augmenter en cas de danger imminent, comme celui où l’Iran pourrait facilement augmenter son enrichissement de l’uranium de 20 % à 95 %. En réalité, c’est l’acquisition des premiers 20 % qui est la plus compliquée. Les inquiétudes persisteront si nous ne parvenons pas à geler le programme nucléaire iranien, car l’acquisition de matériaux enrichis pourrait se faire en quelques mois et l’Iran pourrait rapidement passer à l’étape de la production. Si les choses se dégradent dans cette direction, c’est un risque que Israël n’est pas prêt à prendre.

Avez-vous le sentiment malgré tout que l’Iran va finir par se doter de la bombe nucléaire ?

Vous savez, pour moi, tous les indices indiquent clairement que l’intention du régime est claire : s’il y avait eu dès le début une transparence totale et des intentions véritablement pacifiques concernant un programme nucléaire strictement civil, ce problème n’aurait pas surgi. Alors je pose la question : pourquoi ce manque de transparence ? Pourquoi construire une usine à eau lourde qui ne sert à rien d’autre qu’à fabriquer une arme atomique ?

Vous parlez d’usine d’Arak ?

Oui, d’Arak par exemple, ou tout autre dispositif non déclaré !

Alors, pourquoi ce régime cherche-t-il à se doter de l’arme atomique ? Pour une dissuasion nucléaire qui lui permettrait d’imposer une hégémonie régionale et de continuer à exporter une idéologie, sans être empêché militairement par l’Occident ou les pays qui s’y opposent. Car bien sûr, dans le cadre d’un conflit militaire conventionnel, les forces de l’OTAN seraient largement supérieures à toutes les forces possibles. C’est uniquement à travers cette dissuasion que l’Iran pourrait imposer ses volontés. Et ce n’est pas nécessairement dans le but d’utiliser l’arme pour attaquer un autre pays comme Israël.

Et la dissuasion leur permettra de se maintenir au pouvoir…

C’est une garantie de survie. Le problème, c’est qu’une fois que l’Iran sera doté de l’arme atomique, d’autres pays suivront inévitablement, comme l’Arabie Saoudite et l’Égypte, qui représentent le camp sunnite. À ce moment-là, le traité de non-prolifération pourrait être oublié. Les conséquences seraient irréversibles. Ainsi, le dossier iranien ne concerne pas seulement la nature du régime, mais aussi l’avenir de toute une région qui pourrait utiliser le nucléaire à des fins militaires. Si cela devait arriver, il y aurait de quoi s’inquiéter. Ce n’est pas la politique qui doit changer, c’est le régime qui doit changer.

Quand le Guide Suprême de la Révolution, Ali Khamenei, exprime des doutes quant à la poursuite des négociations avec les États-Unis, on a vraiment l’impression d’être au bord de la rupture…

J’ai perdu le compte du nombre de fois où j’ai alerté, au fil des années, les décideurs occidentaux au sujet de ce même problème que vous venez d’évoquer. Combien de fois faut-il leur faire comprendre quelle est la nature ultime de ce régime, la position du Guide Suprême et leur intransigeance quant à leur propre survie, qui ne s’inscrit même pas vers une solution négociable ? Pourquoi ? Parce qu’ils vivent dans un autre espace de rationalité que le nôtre. Pour eux, leur survie dépend d’un échec civilisationnel de l’Occident, leur pire ennemi. Les valeurs de l’Occident comme les droits de l’Homme, l’égalité des femmes et bien d’autres choses, s’accrochent à ces valeurs. Elles ne sont pas en accord avec la vision d’un régime qui parle de volonté divine, représentée à travers une seule personnalité sur terre, qui décide seule de manière absolue et définitive de ce qu’il faut faire. Or, c’est inadmissible. On ne peut pas négocier ou rationaliser avec un tel régime !

Ne pensez-vous pas que le président américain Barack Obama était quelque peu naïf de croire qu’il pourrait négocier l’arrêt du programme nucléaire iranien avec ce régime, sachant parfaitement qu’il a toujours adopté plusieurs discours, triché et menti, tout en étant un acteur du terrorisme international ? Comment peut-on imaginer qu’ils vont changer d’attitude, surtout avec un président comme Hassan Rouhani, dont le sourire élastique séduit l’Occident tout en s’endormant devant lui ?

Depuis la révolution iranienne (Carter lui-même avait pensé pouvoir négocier avec ce soi-disant religieux, « un homme de foi » – c’est ainsi qu’il voyait Khomeini à l’époque) et tous les successeurs de Carter jusqu’à aujourd’hui, y compris le président Obama, sont tombés dans le même piège. Maintenant, je ne sais pas s’il s’agit d’un réel manque de compréhension des mentalités et des coutumes de notre région, ou s’ils croient sincèrement que dès qu’un visage leur sourit un peu, il est possible de négocier. À chaque fois, nous retombons dans le même piège, et le temps passe. La société iranienne souffre de plus en plus, et le pays se dirige vers l’éclatement. Le régime profite de cette situation pour gagner du temps et se retrancher derrière sa dernière ligne de défense. Comme vous le savez, dans ce jeu, le régime est particulièrement nerveux concernant la Syrie. La Syrie a toujours été à l’avant-garde de ce régime en tant que ligne de défense extérieure, notamment avec le Hezbollah.

Et précisément, Obama ne commet-il pas une erreur majeure en pensant que l’Iran peut jouer le rôle qu’il imagine ? Il évoque même un rôle de stabilisateur dans la région vis-à-vis de la Syrie, du Hezbollah…

Écoutez, il ne faut pas chercher trop loin… Avant cette Révolution, l’Iran était un pays auquel on pouvait faire confiance. À l’époque, l’Iran avait un régime où ces mêmes pays qui imposent des sanctions au régime islamiste se livraient une compétition au niveau des technologies atomiques. L’Iran d’alors jouait un rôle stabilisateur, n’avait pas de conflits avec ses voisins et entretenait des relations cordiales avec Israël. À l’époque du monde bipolaire de la guerre froide, il avait même établi des liens avec Pékin et Moscou ! Trouver un pays qui se situait justement sur la ligne de faille, une zone extrêmement tendue aussi bien du point de vue soviétique qu’occidental, et qui pourtant n’était pas devenu un satellite russe, était rare. L’Iran maintenait une politique équilibrée malgré ces tensions. Mais aujourd’hui, penser que ce même régime, à l’origine de toutes les tensions dans la région, puisse apporter la stabilité, relève d’une logique tout à fait tordue et incompréhensible. Veulent-ils justifier une erreur commise il y a 35 ans en soutenant la Révolution iranienne, ou veulent-ils vraiment voir les réalités telles qu’elles sont, sachant que ce régime est la source de l’instabilité ? Il est vrai que le pays pourrait contribuer à la stabilisation. Cela nous ramène donc à la question de l’utilité du régime.

Vous soutenez un régime laïque parlementaire et avez récemment fondé le Conseil national iranien avec plusieurs collaborateurs représentant divers partis d’opposition. Vous avez vivement critiqué l’Iran pour ses violations des droits de l’Homme… Pensez-vous que vous allez enfin être pris au sérieux par Barack Obama et les Occidentaux ? Pensez-vous qu’on vous accordera une chance ? Pourra-t-on vous faire confiance ?

Il y a deux facteurs à considérer. D’abord, il y a le facteur intérieur qui montre qu’au fil du temps, l’idée de réformer le régime s’estompe. Elle laisse place à une évolution vers une alternative laïque pour le pays, car les tentatives de réforme ont toutes échoué à plusieurs reprises. Pourquoi ? Tout simplement parce que, peu importe qui est élu président, tant que le système actuel perdure avec un Guide suprême ayant le pouvoir d’interrompre tout processus par une simple fatwa, aucune législation ne peut être modifiée et aucun système ne peut évoluer. Il est crucial que les lois changent. Si finalement, en Occident, on comprend que ce régime est immuable, qu’il ne peut se transformer…

… Vous serez peut-être alors considéré à ce moment-là comme une alternative crédible…

Tout à fait. En réalité, le Conseil national iranien a été créé dans le seul but de mener une campagne précise, réclamant simplement la souveraineté nationale et le droit des citoyens à un espace politique libre pour des élections libres, ce qui n’est pas le cas actuellement. Nous sommes conscients qu’au niveau juridique, nous ne pouvons pas demander à la Communauté internationale de soutenir une politique de changement de régime, mais ils peuvent tout à fait prendre des décisions de soutien à notre appel, ce qui n’est pas illégal sur le plan international.
C’est une stratégie de soutien possible, similaire à toutes les campagnes qui ont renversé des régimes totalitaires autoritaires. Prenons l’exemple de l’Afrique du Sud, où c’est le peuple sud-africain qui s’est soulevé. Dans ce cas, il faudrait que ce soit le peuple iranien qui se soulève. En effet, les Iraniens en ont assez de ce régime. Ils aspirent à un changement au-delà de ce régime. Nous avons demandé à Khamenei de céder devant la volonté du peuple telle qu’elle est exprimée dans les lois parlementaires, ou de faire face aux conséquences d’une désobéissance civile destinée à mettre fin à ce régime.
C’est précisément sur ce point que nous lançons un appel au monde. Quel choix avons-nous en tant que citoyens ? Nous espérons que l’Occident ne se concentrera pas uniquement sur le dossier nucléaire, mais également sur le manque de liberté politique et les violations des droits de l’homme. Nous avons besoin d’un soutien moral. C’est ainsi que l’espoir est nourri. C’est ainsi que le changement peut s’opérer.

Propos recueillis par Christian Mallard