Personne ne comprendrait que les Palestiniens restent un peuple sans État
L’avenir de la Libye vous inquiète-t-il, avec un Conseil national de transition (CNT) composé d’une mosaïque de personnes issues de la Cyrénaïque, de la Tripolitaine, ainsi que des Berbères, d’anciens monarchistes, et de membres de tribus divisées islamistes liées à Al-Qaïda ?
Toutes les forces que vous évoquez se sont unies pour combattre Kadhafi. Le CNT a réussi à former rapidement un gouvernement de transition qui devra maintenir l’unité de la révolution jusqu’à l’établissement des institutions d’un État démocratique. Il revient donc au peuple libyen, seul, de bâtir la démocratie selon ses propres aspirations. Les Libyens, qui ont fait preuve de courage, de maturité et de dignité tout au long de cette révolution, ont toute notre confiance pour relever ensemble ce défi, et la France restera à leurs côtés pour soutenir la modernisation politique et la relance de l’économie.Il est clair que le président syrien et sa minorité alaouite continuent de se maintenir au pouvoir malgré la répression persistante. Une intervention a eu lieu en Libye. Pourquoi pas en Syrie ?
La Communauté internationale doit assumer ses responsabilités et protéger les populations civiles. La France joue un rôle de premier plan dans la mobilisation internationale à cet égard. Elle poursuivra ses efforts dans toutes les enceintes, notamment au sein de l’Union européenne qui a déjà adopté huit séries de sanctions, afin d’accroître la pression sur le régime syrien et mettre fin à la répression. Au Conseil de sécurité, nous avons été confrontés au veto russe et chinois ainsi qu’aux réticences de l’Inde, de l’Afrique du Sud, du Brésil et du Liban. Nous ne baissons pas les bras. Aucun veto ne peut justifier les actions d’autorités ayant perdu toute légitimité en assassinant leur propre peuple. Nous continuerons de condamner les crimes commis.
Nous entretenons un dialogue constant avec la Ligue arabe, qui suit avec une inquiétude croissante l’évolution du régime de Damas. À New York, nous œuvrons pour que les Nations Unies puissent se prononcer sur la crise syrienne. Nous maintenons le dialogue avec les Russes et les Chinois. Nous sommes prêts à renforcer encore les sanctions européennes. Nous collaborons avec l’opposition démocratique syrienne qui s’organise. Nous apportons notre soutien politique et moral à une population courageuse désireuse de retrouver sa liberté.
Craignez-vous une réaction de l’Iran et de son allié, le Hezbollah, qui pourrait entraîner une escalade au Moyen-Orient ?
On peut toujours agiter des menaces, mais on ne peut pas arrêter les aspirations des peuples. Je ne crois pas que ce soit dans l’intérêt de quiconque dans la région d’essayer de contrecarrer ces aspirations. N’oublions pas que le peuple iranien, lui aussi opprimé depuis trop longtemps, réclame la liberté.
Ces révolutions du Printemps arabe ne risquent-elles pas de déboucher sur des lendemains qui déchantent ?
En Tunisie, la campagne électorale se déroule dans le calme, et je ne m’aventurerai pas à prédire les résultats. Cependant, il est peu probable qu’un parti obtienne la majorité à lui seul. En Égypte, une transition politique est également en cours. Ce qui importe est que les autorités respectent leurs engagements, notamment le transfert du pouvoir à des autorités civiles élues en 2012. Les Frères musulmans font partie des acteurs de ce nouvel échiquier politique. Comme en Tunisie, ils devront se conformer aux règles du jeu électoral et politique et collaborer avec d’autres forces. Je rejette la notion de fatalité. Face aux extrémistes, nous soutenons toutes les forces démocratiques qui prônent le pluralisme et le respect des différences.
L’ancien Président français Jacques Chirac n’a cessé de répéter : « le cancer numéro un du Moyen-Orient est le conflit israélo-palestino-arabe ». Face aux récentes initiatives palestiniennes à l’ONU, comment pourrait-on faire comprendre aux Israéliens que l’avenir ne joue pas en leur faveur ?
Le conflit au Proche-Orient a déjà trop duré. Il alimente les frustrations, voire l’extrémisme. Les Palestiniens réclament légitimement leur État, une demande admise par toutes les parties concernées. Les évolutions politiques rapides et sans précédent dans les pays arabes rendent encore plus urgent une résolution du conflit. Il est incompréhensible que le statu quo perdure et que les Palestiniens demeurent un peuple sans État. Ce statu quo n’est pas favorable à Israël. La Communauté internationale doit donc aider Israël et les Palestiniens à mettre en œuvre la solution des deux États.
À l’ONU, le Président de la République a proposé un changement de méthode, avec une étape intermédiaire vers une reconnaissance pleine de la Palestine : le statut d’État observateur, accompagné de la reprise des négociations. La création de l’État de Palestine constituera la meilleure garantie de sécurité pour l’avenir des Israéliens. Tout le Proche-Orient en bénéficierait en termes de stabilité et de croissance.
Pendant ce temps, l’Iran avance à pas feutrés dans l’élaboration de son programme nucléaire et devient chaque jour un peu plus une menace. Que faut-il faire ?
La crise nucléaire iranienne continue de retenir plus que jamais notre attention. Ses enjeux sont considérables : en poursuivant le développement de capacités nucléaires, l’Iran met en péril le régime de non-prolifération et accroît le risque d’une détérioration soudaine de la situation dans la région. Non seulement ce programme ne semble pas avoir d’objectif civil identifiable, mais il existe de sérieuses indications d’activités liées à la conception et à la fabrication d’armes nucléaires. En 2006, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France, avec le soutien de l’Union européenne, ont persuadé les États-Unis, la Russie et la Chine d’adopter une approche commune et ferme : ouverture au dialogue avec l’Iran, tout en intensifiant la pression internationale si celui-ci refuse de suspendre ses activités sensibles et de négocier. Le Conseil de sécurité, l’Union européenne et de nombreux pays ont déjà imposé des sanctions, dont les effets sont perceptibles pour les autorités iraniennes.
C’est là notre stratégie, que nous poursuivrons sans faillir. Téhéran ne doit pas douter de notre détermination. Nous cherchons ainsi à prévenir le risque d’une crise majeure que nous ne pouvons en aucun cas accepter, comme l’a clairement exprimé le Président de la République dans son discours devant les ambassadeurs français. La prochaine étape consistera en un nouveau rapport de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique, qui nous éclairera sur la situation actuelle en Iran et servira de base à nos actions à venir.
Propos recueillis par Christian Malard