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Philippe Bas
Philippe BasAncien Ministre
Sénateur de la Manche
Président de la Commission des Lois

En finir avec l’antiparlementarisme : une vue de l’esprit ?

L’antiparlementarisme est malheureusement une composante permanente de la démocratie française depuis les débuts de la IIIème République, même s’il a souvent changé de forme à travers l’histoire et connu des pics séparés de périodes plus calmes, qui coïncidaient, en général, avec des temps de stabilité et de prospérité. Il a toujours été vaincu, sauf sous le régime de Pétain, mais jamais éradiqué. C’est une maladie qui ressemble au paludisme : l’infection est durable, mais les poussées de fièvre, épisodiques, n’emportent généralement pas le malade convenablement traité. Il faut, cependant, être vigilant…

Les changements profonds apportés au régime parlementaire par la Vème République ont rétabli une confiance durable dans nos Institutions. Mais la Constitution de 1958 et le système politique fondé sur le fait majoritaire ont eu des conséquences contradictoires : si l’abaissement du Parlement a détourné le ressentiment populaire vers le pouvoir exécutif, il a aussi soulevé des questions sur l’utilité du travail parlementaire. L’adhésion au régime s’est érodée au fur et à mesure que s’éloignait le repoussoir de la IVème République. L’impopularité du pouvoir exécutif l’a aussi conduit à se servir régulièrement du Parlement comme d’un bouc émissaire pour jouer les chevaliers blancs.

Face à une défiance qui ne l’épargne pas, la réponse d’Emmanuel Macron n’est pas dans la pédagogie, mais dans la surenchère : après la Haute Autorité, inventée par François Hollande pour éloigner la foudre de l’affaire Cahuzac ; après les déclarations d’intérêt et de patrimoine imposées aux élus ; après l’interdiction faite aux parlementaires d’exercer des fonctions exécutives locales… voici la réglementation des emplois d’attachés parlementaires, la transformation des frais forfaitaires des députés et des sénateurs en régime de frais remboursés sur facture et, bientôt, la réduction du nombre de parlementaires, ainsi que la limitation du nombre de leurs mandats successifs.

Il n’y a pas la moindre chance que ces nouvelles règles atténuent un antiparlementarisme auquel elles donnent raison et qui trouve sa source, non dans une insuffisance d’encadrement de la vie politique, mais dans la déception et la rancœur face à une crise morale, politique, économique et sociale, dont on attendait que les politiques la résolvent. On pourrait même dire que l’antiparlementarisme provient d’espoirs excessifs que les responsables politiques, au lieu de tenir le discours austère de la vérité, qui correspond à la véritable éthique démocratique, n’ont cessé d’entretenir, puis de décevoir. C’est l’effet pernicieux de la démagogie, qui est l’exact contraire du respect du Peuple, malédiction de la démocratie française après avoir été celle de la République romaine. Pourtant, il existe des antidotes à la résurgence permanente de l’antiparlementarisme, à prescrire avec retenue et à absorber avec modération, pour ne pas tétaniser le corps malade de la démocratie.

D’abord, dans notre régime de surpuissance exécutive, ne pas se tromper de diagnostic : le problème de la démocratie française n’est plus, depuis longtemps, l’excès de Parlement, c’est l’hégémonisme présidentiel, avec un Chef de l’État tout puissant, un Gouvernement subordonné, une majorité déférente, sans racine dans les territoires, choisie sur son seul nom. Or, si le Président est élu par une majorité, le Parlement, lui, représente les Français dans leur diversité : c’est au Parlement que les consensus et les désaccords doivent s’exprimer pour que la politique de la Nation prenne en compte la diversité des attentes et des besoins. Rendons au Parlement la plénitude de sa fonction de représentation de la Nation ! Qui n’écoute pas le Parlement n’écoute pas les Français ! En distendant le lien entre les parlementaires et leurs électeurs, les mesures proposées par le Président Macron ne vont pas dans le sens d’un renforcement du Parlement, mais dans le sens d’un effacement, comme si le Parlement le gênait encore. Ses propositions relèvent d’un contresens historique. Faut-il le rappeler, il n’y a pas de démocratie sans Parlement fort. Un Parlement qui débat et qui contrôle l’action de l’exécutif et des administrations.

Or, le Parlement français est déjà le plus faible d’Europe occidentale. Il ne faut pas aggraver la tendance, mais l’inverser, tout en veillant à ne rien faire qui puisse causer de l’instabilité ou un retour au multipartisme. Je pense, bien sûr, à la proportionnelle. Et puis, sachons assumer, devant les Français, les questions d’argent. Les parlementaires ont un revenu qui satisferait beaucoup d’entre eux, la cause est entendue. Pourtant, il est inférieur d’environ un tiers au revenu d’un parlementaire britannique, italien ou allemand. Le montant n’évolue pas avec l’ancienneté et l’expérience acquise. Les avantages annexes sont encadrés : transport de sa terre d’élection à Paris, prise en charge de son hébergement quand il siège, frais de location et de fonctionnement d’une permanence, etc.

L’emploi de collaborateurs n’est pas à sa charge et ne donne donc lieu à aucun versement sur son compte. Il travaille beaucoup, y compris lors des séances de nuit au Parlement et consacre ses fins de semaine à ses concitoyens pour leur apporter son aide dans la réalisation de leurs projets et se nourrir de leurs réactions et propositions. C’est sa vie. Elle est passionnante.
Mais s’il voulait utiliser ses talents ailleurs, pourvu qu’il ait déjà exercé un métier exigeant une qualification élevée, il trouverait probablement à s’employer dans des conditions meilleures et plus confortables pour sa vie quotidienne…

Philippe Bas,
Ancien Ministre
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