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« Vouloir faire de la fédération de Russie un pays fonctionnant
selon le même modèle que la France est une peine perdue ! »

S.E Alexandre Orlov, Ambassadeur de la Fédération de Russie en France, Représentant Permanent de la Fédération de Russie auprès du Conseil de l’Europe.

Pour moi, c’était toujours un étonnement, lorsque j’étais à Strasbourg, de constater la méconnaissance par les Français de la plus vieille institution européenne, dont le siège est en France ! Et cela vaut même pour des dirigeants politiques. Ainsi, je me souviens de l’ancienne maire de la ville, Madame Keller, qui confondait tout le temps le Conseil de l’Europe et l’Union européenne.

Je me suis toujours demandé pourquoi, et la seule explication que j’ai trouvée est que le Conseil de l’Europe a été une invention britannique, son père étant Winston Churchill, alors que celui de l’Union européenne a été Robert Schuman, un Français !

J’ai eu le privilège de participer aux premières heures du rapprochement entre mon pays et le Conseil de l’Europe. Une histoire qui date de près de vingt-cinq ans et dont je suis tout à fait fier. J’étais en effet le 6 juillet 1989 dans la même salle que Mikhaïl Gorbatchev que j’accompagnais. Si ma mémoire est bonne, le statut « d’invité spécial » a été élaboré le jour même dans le bureau de M. Fuller, entre lui et moi. Curieusement, l’Union soviétique a précédé tous les autres pays de l’Europe de l’Est, et lorsque je suis rentré à Paris, tous mes collègues des autres ambassades de l’Est sont venus me voir pour me demander ce que nous étions allés faire dans cette organisation « pourrie ». Le Conseil de l’Europe a connu ses heures de gloire lorsque la France s’y intéressait et s’y investissait. À cet égard, je tiens à rendre hommage à Catherine Lalumière qui a été la Secrétaire générale la plus brillante de cette institution, au moins dans son histoire moderne.

Aujourd’hui, le Conseil de l’Europe connaît une crise d’identité liée aux différents intérêts que lui portent les pays membres. Les pays fondateurs se sont tournés vers l’Union européenne, tout comme les pays de l’Est, pour lesquels le Conseil de l’Europe était moins central. Néanmoins, il reste, dans celui-ci, vingt pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne et qui, comme la Russie, ont naïvement rejoint cette institution avec la volonté de construire ensemble une Europe allant de l’Atlantique à l’Oural. Ce credo a été affirmé par Mikhaïl Gorbatchev le 6 juillet 1989, quand il a parlé de la maison commune de l’Europe. Et nous sommes toujours là. La principale difficulté dans le fonctionnement du Conseil de l’Europe provient du fait que les pays de la vieille Europe tentent d’imposer leurs modèles nationaux aux nouveaux membres de l’organisation. Cela n’est pas possible, car chaque pays a une identité et des caractéristiques propres. En Europe, il y a la France, la Grande-Bretagne et la Suisse, qui, à mes yeux, a le modèle démocratique le plus parfait ; pour autant, il n’a été copié nulle part ailleurs. Vouloir absolument faire de la Fédération de Russie un pays fonctionnant selon le même modèle que la France est une peine perdue. Il conviendrait de faire un effort intellectuel et de formuler certains critères permettant de dire si un pays est démocratique ou non. J’ai entendu évoquer à plusieurs reprises la procédure de suivi. Or, le nombre d’engagements demandés et celui des obligations à respecter ne cessent de s’accroître. Il serait préférable de trouver un dénominateur commun applicable à tous les pays démocratiques en Europe, dans le respect des spécificités des États. Cette initiative pourrait être prise par l’Assemblée parlementaire, car elle est l’organe le plus combatif du Conseil de l’Europe, celui qui prend le plus d’initiatives. Les parlementaires ont en effet la liberté de poser toutes les questions qu’ils jugent nécessaires, la possibilité de préparer des rapports et de formuler des recommandations. Il appartient ensuite aux Gouvernements de répondre à ces recommandations.

Ce rôle unique fait du Conseil de l’Europe une organisation très importante. Pour autant, il ne saurait être une école de la démocratie, même si nous nous enrichissons évidemment de l’expérience des autres pays et de l’importante base conventionnelle pour accélérer le rythme de notre modernisation démocratique. C’est également pour cette raison que le Conseil de l’Europe a un rôle unique en Europe.

J’ai entendu parler de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, mais elle n’est jamais vraiment devenue l’OSCE ; elle en est restée au stade de la CSCE, la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe. En effet, elle n’est pas encore parvenue à adopter des statuts.

De plus, bien qu’elle dispose d’une assemblée parlementaire, elle ne demeure qu’un forum de discussion – certes important – dont le principal intérêt réside dans la présence des États-Unis. Si tel n’était pas le cas, elle aurait disparu depuis longtemps. En revanche, l’APCE exerce un véritable pouvoir d’initiative. Pour la Fédération de Russie, elle est une véritable école de la vie parlementaire. Tous les députés russes qui y ont siégé ont acquis des connaissances, des compétences professionnelles, des savoir-faire. C’est l’unique lieu où ils peuvent échanger sur les sujets d’actualité avec leurs collègues européens, car nous n’appartenons pas à l’Union européenne. D’autres organes du Conseil de l’Europe sont également très importants. Tel est le cas du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, car des liens entre collègues s’y tissent.

Il en va de même pour la Conférence des ONG. Mais cette institution est en danger. Elle constitue un lien direct avec la société civile, base même d’une démocratie. Or, j’ai appris que des projets de réforme envisagent sa suppression. Ce serait une erreur fatale pour le Conseil de l’Europe, car elle est le seul de ses organes qui permet d’établir le lien régulier avec les ONG. C’est un atout unique qui doit être conservé. Le Centre de la Jeunesse est également très important, comme en témoigne l’existence de l’OFAJ, l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse, qui a joué un rôle non négligeable en faveur de la réconciliation entre ces deux pays. Le Conseil de l’Europe ne peut donc être résumé à l’État de droit et à la démocratie. Les relations avec l’Union européenne posent problème. Le Conseil de l’Europe est menacé d’être vidé de sa substance au profit de l’Union européenne. On voit déjà la duplication d’organes. Lorsque j’étais ambassadeur de mon pays auprès du Conseil de l’Europe, le plus difficile pour moi était de négocier avec des collègues de pays membres de l’Union, car ils voulaient toujours imposer aux autres pays membres les directives adoptées au sein de l’Union européenne. Or, nous n’avons jamais négocié ces directives, nous n’avons jamais participé au processus démocratique d’élaboration de ces normes juridiques. C’est pourquoi j’ai toujours été favorable à une certaine subsidiarité entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Il y a bien des problèmes qui concernent l’ensemble de l’Europe, particulièrement sur les sujets de société, qui devraient être traités prioritairement par le Conseil de l’Europe. Il faudrait préparer ensemble les conventions et, ensuite, chacun en tirerait les conséquences : l’Union européenne en sortirait une directive et les États non membres de l’Union légiféreraient librement sur le plan national afin que nous disposions tous des mêmes normes. Malheureusement, cette approche n’a encore jamais été acceptée par l’UE.