Alain Malraux

« La nuit porte conseil »
(proverbe russe)

Pendant le brouillard de l‘occupation nazie, un jeune poète publia sous le manteau un recueil dont le titre, à l’impératif, tutoyait le lecteur :

Combats avec tes défenseurs.

L’inconnu, qui ne le resterait pas longtemps s’appelait Pierre Emmanuel, et tel son père spirituel, Pierre-Jean Jouve, l’Appel du Dix-huit juin 1940 l’avait frappé comme la foudre : dans les ténèbres d’un temps où l’abîme était l’ordinaire, côtoyé à chaque pas, cette voix lui était apparue comme un trait de lumière.

À peine plus loin que Lisbonne mais à l’opposé, en Europe orientale, bordant la mer Noire, le pire est revenu, sous la forme d’un sanglant feuilleton dont les prochains épisodes figurent au programme des téléspectateurs du monde entier : sanglante et boueuse, la réalité de la guerre en Ukraine est entrée au quotidien dans nos intérieurs…

En 2022, nous voilà devenus bien malgré nous les voyeurs d’un conflit qui a, par un effet de contraste saisissant, fait surgir à la lumière la figure de Volodymyr Zelensky à la tête de la résistance ukranienne. Contre toute attente, en lieu et place du blitzkrieg prévu par son maître, la massive armée russe ne cesse de s’enliser sur le terrain boueux de la raspoutitsa, n’omettant pas, dans sa vadrouille, en se retirant à regret, de massacrer les civils, enfants compris, sans oublier de violer les femmes alors même que, déroutés, ses soldats, sans gloire, battent en retraite.

Interpellé par Zelensky qui proclame, notamment à l’ONU en passant par notre Parlement et par les tribunes européennes, que son combat est le nôtre, l’Occident se mobilise à pas comptés, avec, dans l’ensemble, une bonne réaction de l’opinion française, prête à accueillir autant de réfugiés que possible et, en parallèle, l‘envoi d’armement défensif, de médicaments et de vivres, même s’il faut faire toujours davantage. Qui, parmi tous les chefs d’Etat européens en fait le plus ?
Le Président de la République française.

En pure perte disent les ennemis d’Emmanuel Macron. Que ne lui eussent-ils pas reproché s’il ne prenait la peine d’appeler Monsieur Poutine assez régulièrement pour revenir sur le motif et insister tant et plus en s’efforçant de le faire fléchir ?

Au sein de notre hexagone, premiers servis par les caisses de résonance médiatiques, dans les rangs les plus solidement traditionnalistes qui hier encore, claironnaient leur admiration pour le despote du Kremlin et feignent – élection présidentielle obligeant – de faire amende honorable, l’esprit de clan fera taire leurs anicroches picrocholines, au moins ce dernier dimanche d’avril.

On penserait volontiers à « Embrassons-nous Folleville » si l’heure n’était aussi décisive. Car pour prendre sa place au premier Français, aucune alliance de circonstance ne sera impossible, et l’on verra sans peine l’admiratrice d’un ancien officier traitant du KGB joindre ses forces à celles de l’admirateur sans réserves de Chavez et Castro, l’une comme l’autre tenants d’authentiques tyrans qui exercent un pouvoir sans limites.

Les jeunes générations ne peuvent guère imaginer qu’entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1965, première du genre selon le suffrage universel dû à De Gaulle, on pouvait voir, unis dans l’hostilité à cet homme déjà légendaire – aujourd’hui quasiment révéré à l’unisson – un Waldeck-Rochet, premier Secrétaire d’un P.C.F., stalinien pur sucre, la main dans la main avec Tixier-Vignancourt nostalgique de Vichy, en passant par les Sartre-Beauvoir, Aragon et Pauline de Rothschild…
Comment le sauraient-elles ? Là nulle politique-fiction : ce fut bien du réel, aisément vérifiable.

À cette cristallisation du second tour, inexorable échéance de la consultation électorale à l’échelle nationale, il va nous falloir faire face sans ambages en anticipant le prochain quinquennat, désormais imminent, dont seulement quelques heures nous séparent encore.

Au soir du premier tour de la présidentielle, Nicolas Sarkozy et François Fillon nous avaient exhortés à reporter notre voix sur le nom d’ Emmanuel Macron. Sans équivoque possible, le parti qui revendique l’héritage du gaullisme part aujourd’hui en quenouille : ce n’est pas d’une allusion à une personne qu’il s’agit, mais d’une cacophonie progressant à vue d’œil et menant à une implosion apparemment sans remède, analogue à la fin d’un cycle .

Voulons-nous vraiment nous réveiller au Bal des Quat’zarts ou à la Fête des Fous ? Tous les aigris de France et de Navarre veulent éliminer Emmanuel Macron. Ayant accédé à la magistrature suprême dont il a été élu le détenteur par l’effet de ses états de service, successeur de sept Présidents et comme eux, garant de notre Constitution, personnalité tolérante, humaniste , profondément civilisé, il est, par nature autant que par conviction antinomique à tout esprit de résignation. Ce qui en fait, dans le droit fil, l’héritier du fondateur de notre République, Vème du nom. Celui qu’entre autres admirèrent tant un Winston Churchill comme un Romain Gary : un certain Général de Gaulle. Une pensée pour lui est demandée dans l’isoloir dont dépend notre destin.

Alain Malraux