« L’absence n’est-elle pas, pour qui aime, la plus certaine, la plus efficace, la plus vivace, la plus indestructible, la plus fidèle des présences ? »
Marcel Proust
On connaît le chercheur Georges Waysand, physicien et historien de la supraconductivité, ancien Directeur de Recherches au CNRS qui, simultanément, tout au long de sa carrière, a maintenu un regard critique sur les rapports entre sciences et société. Mais qui connaît la part manquante du scientifique, né le 30 avril 1941 ? Une part manquante, nourrie, au fil du temps, par la prégnante, présence, de l’absence d’un père…
Après avoir publié « Estoucha », ce témoignage dédié à sa mère, Esther Zilberberg, médecin communiste, d’origine juive polonaise, engagée volontaire aux côtés des Républicains espagnols, avant de rejoindre les rangs de la Résistance et d’être déportée à Ravensbrück, puis Mauthausen, dont elle est revenue, c’est, pour ce second volet, une enquête qu’il consacre, cette fois-ci, à son père, Mojsze Chaïm – que certains nommaient Maurice, d’autres Jean – et qu’il publie sous un titre pour le moins singulier, « Profession du père : fusillé », formule qu’il écrivait sur la fiche de renseignement, à chaque rentrée scolaire; un titre d’où se déploie la tonalité de ce récit, conjugué autour d’une interrogation.
C’est donc le livre d’une énigme : « fils de qui, l’enfant le saura, mais de quel homme, telle est la question… ». De cet être invisible, dont les seuls documents en sa possession tenaient peu de place au fond d’une valise en carton bouilli, il ne lui restait rien que le visage d’un anonyme, qui n’appartient à personne ou bien, à tout le monde… Il s’agissait de le réhabiliter, l’incarner et se l’approprier pour dissiper cet épais brouillard derrière lequel Georges s’est construit.
C’est aussi, indirectement, le livre d’une expérience, « au cœur » du peuple des corons de la Zone Interdite et de l’existence de gens ordinaires sans lesquels rien n’eut été possible; l’expérience d’un « chercheur » sur les traces de son père, arpentant les chemins de l’histoire, parcourant les archives, empruntant les routes de l’exode, jusqu’au Fort du Vert Galant, à Wambrechies, « un fort qui n’a jamais rien protégé », théâtre des exécutions du 15 décembre 1942, où Mojsze, résistant polonais, d’origine juive et communiste, élève ingénieur à Bruxelles et électricien dans un camp d’aviation du Nord de la France, fut fusillé, après sa condamnation à mort par le Tribunal allemand FK 678 de Valenciennes et son arrestation, 3 mois auparavant par la gendarmerie française. C’est à la Bassée qu’il fut inhumé dans leur caveau de famille, aux lendemains de la Libération, après que son corps, retrouvé dans un charnier ait été reconnu par Jeanne et Fernand, couple de résistants, chez qui Georges avait été… « déposé » et qui veillèrent sur « le gosse ». Là où le périple s’achève, là où l’enquête commence…
Dans ce texte, étonnant, où le narrateur s’adresse à lui-même, comme pour mieux en souligner la déclinaison maïeutique, Georges Waysand, entre en résistance lui aussi et, à partir de rien, bricole, ad nauseam, l’image d’un père, plus vivant que jamais. Un texte dans lequel la précision chirurgicale des descriptions, des faits, des dates, contraste, lestement, avec les maigres éléments dont il dispose et qui, au fur et à mesure des années qu’il embrasse, nous précipite dans l’intimité d’une quête, portée par l’austérité du verbe et ce qu’il y a lieu d’appeler « l’énergie du vide », dans une équation associant, tout à la fois, la puissance de la logique et de l’imagination.
Mais quand on sait que Georges Waysand, a créé un laboratoire souterrain bas bruit, unique au monde, enfoui sous 500 mètres de roche, ancien poste de tir N°1 de la Force française de dissuasion du plateau d’Albion, pour étudier les phénomènes les plus silencieux de la planète, on comprend, finalement, que son ouvrage s’inscrit dans le prolongement naturel de toute une vie et sa lecture, confirme, s’il en était besoin, combien le spécialiste des « sciences souterraines », a l’art et la manière de décrypter les signaux du silence…
Pauline Wirth du Verger
(Éditions Le Bord de l’eau)
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