C’est un cri d’alarme que lance dans les colonnes du Journal du Parlement à la suite du colloque au Sénat organisé par Ethic Ocean et GHR-île de France, l’ancien Président du Muséum d’Histoire Naturelle et Conseiller scientifique, au Cabinet de Ségolène Royal, alors Ministre de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer…
Quels sont les dangers majeurs qui menacent selon vous l’océan ?
Quatre grands dangers menacent l’Océan. D’abord la destruction massive du littoral. L’océan est le seul écosystème sur la terre qui ne peut pas être détruit. Par contre, nous pouvons l’abimer. C’est par le littoral que la vie est sortie de l’océan pour venir sur la terre. Il reste le point de départ de grandes migrations, sans oublier que la moitié de la population mondiale s’y trouve. Presque toutes les grandes villes de la planète sont situées sur le littoral.– Ensuite la contamination des fleuves amène des milliards de déchets, du plastique mais pas seulement. Même dans des zones reculées, loin du monde, ces déchets sont retrouvés. A titre d’exemple au cœur de l’archipel des Vanuatu, à cause de cela le niveau de la mer monte le plus vite que partout ailleurs ! Dans les grandes gyres océaniques, en Arctique, en Antarctique, les produits arrivent par l’eau ou par la terre. Avec la rotation de la terre, toutes les molécules s’évaporent des champs agricoles et retombent sous forme d’aérosols sur les pôles.
– Egalement la surexploitation par les pêches maritimes est catastrophique. La terre possède des ressources minérales et vivantes. Les minérales s’épuisent. Si le vivant se reproduit, l’Homme finit par exploiter les gisements de poissons comme du minéral. Les seuils de renouvelabilité sont dépassés chaque année. Quand on surpêche des petits poissons pélagiques, la capacité de l’océan à stoker le fameux CO2 s’en trouve modifiée. La surpêche a donc une influence sur le climat !
– Enfin la quatrième raison est la dissémination de ce que j’appellerais « de tout partout », à travers les ballastages des grands navires. 700 espèces sont passées par le canal de Suez de la mer rouge en Méditerranée, des espèces erythréennes ou lessepsiennes.
En Martinique, le poison lion ou les sargasses sont une catastrophe. Pendant la débarquement lors de la deuxième guerre mondiale, les crépidules se sont installées et ce coquillage constitue même aujourd’hui la biomasse la plus importante du Mont-Saint-Michel.
La surpêche influe-t-elle sur le changement climatique ?
Absolument. Le climat qui change affecte le vivant pour deux raisons ; ce vivant n’a pas de température constante, un poisson ajuste sa température corporelle à la température extérieure. Le vivant s’adapte en changeant son métabolisme, sa consommation d’oxygène qui augmente, et la migration mais beaucoup d’espèces marines – le corail, les gorgones, les éponges- ne peuvent migrer. Ainsi, beaucoup sont condamnées. Le climat qui change entraîne des migrations et des augmentations métaboliques. Plus une eau est chaude, moins elle contient d’oxygène. Une zone qui ne contient plus d’oxygène entraine des zones où seules les bactéries anaérobies survivent. Le climat affecte le vivant qui réagit, soit en disparaissant, soit en migrant, ce qui va à son tour faire changer le climat. La surpêche des petits poissons pélagiques – chinchards, anchois, sardines, maquereaux- entraine un effondrement des autres espèces comme les baleines et autres poissons qui les mangent. Le zooplancton mange du phytoplancton, des micros algues qui produisent de l’oxygène, qui sont capables de capter le gaz carbonique. Tout se tient. Les grands cycles biogéochimiques entre le vivant et la géochimie sont intimement liés.
Vous êtes président d’Ethic Ocean. En quoi les professionnels de la restauration peuvent-ils, selon vous, être des aiguillons ?
Les grands chefs comme Thierry Marx, Olivier Roellinger sont écoutés par leurs pairs, par le public. Ce sont des artistes, dans leur domaine, des êtres sensibles. Ils ont compris que la grande qualité qu’ils développent vient de la matière première qu’ils vont travailler. Ethic Ocean publie chaque année le Guide des espèces qui indique celles à privilégier et celles à bannir. En ce moment, les stocks d’anguilles s’écroulent, l’espèce va disparaitre, c’est effrayant. Or l’État français permet d’augmenter de 20 % les prises de civelle. Des zones marines protégées sont créées mais on peut chaluter dedans, c’est une aberration !
Qu’attendez-vous du monde politique en ces domaines ?
J’ai présidé le Muséum d’Histoire naturelle, j’ai travaillé avec des personnalités politiques, des ministres. Chantal Jouanno, Jean-Louis Borloo, Nathalie Kosciusko-Morizet, Ségolène Royal : ils et elles avaient un vrai courage politique. Mais il faut que ce soient les citoyens qui se battent, le monde politique ne bougera que poussé par le monde citoyen. Il ne faut pas perdre de vue les quatre piliers essentiels à la bonne marche de la société :
- La science, et pas les opinions. Nous sommes dans l’un des pays au monde où la classe politique possède peu de culture scientifique.
- La politique devrait s’emparer des questions d’écologies scientifiques dans tous les partis et pas seulement chez les écologistes.
- Une activité responsable chez les citoyens et les ONG, ce qui est le cas France.
- Les actions des entreprises dans le monde dans lequel nous nous trouvons. Si les entreprises ne prennent pas à bras le corps ces questions, nous n’aurons pas la volonté nécessaire pour nous en sortir. Certains se rendent compte que l’économie ne sera pas possible si le climat s’effondre.
Nous ne mangeons que du vivant et de la biodiversité. Nous devons cohabiter. Le moindre désordre de nos bactéries entraine des maladies – diabète de type 2, Alzheimer, obésité. Je crois beaucoup au levier de la santé publique pour faire bouger les lignes.
Etes vous pessimiste ?
Je refuse de tomber dans la colapsologie, dans le catastrophisme. Je collabore avec L’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), l’équivalent du GIEC climat pour le vivant, dont j’ai été membre du bureau pendant cinq ans aux Nations Unies. Nous travaillons sur la détermination des études sur l‘effondrement du vivant. Les écologistes parlent d’extinction, je m’oppose à cette formulation pour l’instant, nous n’y sommes pas, mais nous pourrions y arriver si rien n’est fait. Le nombre des individus chute avec un taux 100 à 1000 fois plus fort que ce qui se passait avant l’humanité, en dehors des grandes crises d’extinction. Sur la biodiversité, les îles sont en première ligne, les ressources s’amenuisent. Le changement climatique touche d’abord des pays qui ne sont pas responsables comme les îles de Fidji, le Vanuatu. Cela est profondément injuste. Il est enfin essentiel de mieux respecter les femmes, de remettre les petites filles à l’école, de les laisser prendre leur part dans le monde dans lequel nous vivons. Elles sont l’avenir de l’Humanité…
Propos recueillis par Cécile d’Orville
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