Pourquoi une Constitution européenne ?

Dans les décombres de la deuxième guerre mondiale, l’Europe a été inventée pour en finir avec le passé, celui des guerres. Elle est devenue, aujourd’hui, un projet pour construire l’avenir. Ce moment délicat de transition entre deux projets, c’est celui que nous vivons aujourd’hui. L’année dernière, l’élargissement à dix pays d’Europe centrale et orientale ont marqué l’accomplissement de la mission de paix que s’était donnée l’Europe, en effaçant les traces de la guerre froide. Aujourd’hui, la paix, cet équilibre pourtant si fragile comme l’actualité nous l’enseigne chaque jour, est devenue une évidence pour les jeunes Européens. Une évidence comme la liberté de circuler partout en Europe, comme la prospérité retrouvée, malgré les crises. Et c’est toute la difficulté : au moment où le projet devient réalité, il s’efface inévitablement des mémoires de ceux-la mêmes qui en bénéficient. C’est alors que renaissent les divisions, comme la crise iraquienne l’a si bien montré en 2004. L’Europe ne peut donc continuer d’avancer que si elle se réinvente sans cesse. Pendant longtemps, l’Europe a été surtout un marché intérieur et une politique de la concurrence. Nous leurs devons beaucoup. Le marché commun a créé 2,5 millions d’emplois depuis 1993 et généré plus de 800 milliards d’Euros de richesses supplémentaire. La Politique Agricole Commune, mise en place dans le cadre de ce marché commun, bénéficie considérablement à nos agriculteurs, malgré les critiques qu’elle suscite parfois. Entre 2000 et 2006, c’est 10 milliards d’Euros par an qui leur seront ainsi consacrés. C’est à l’Europe que l’on doit des métamorphoses aussi spectaculaires que celle de l’Irlande, passée en vingt ans de parent pauvre de l’Europe au statut de pays européen le plus riche par habitant aujourd’hui.

Ces réussites, le monde entier nous les envie. Certains États membres voudraient s’en satisfaire et limiter l’Europe à un espace commun de prospérité et de libre échange. En France notre vision n’est pas celle-là. Notre pays, avec l’Allemagne à ses côtés, a constamment œuvré pour que l’Europe devienne plus q’un marché. Nous voulons faire de l’Union une communauté de valeurs et une puissance capable de promouvoir ces valeurs dans le monde. En d’autres termes, une Europe politique. Nous sommes déjà à mi-chemin de ce projet. Depuis une dizaine d’années, l’Union a élargi ses compétences à des domaines beaucoup plus politiques : je pense par exemple à la sécurité, à la justice et à l’immigration. Je pense bien sûr à la politique étrangère et de défense : la défense européenne a fait en dix ans des progrès spectaculaires, en grande partie grâce à la France et au Royaume-Uni, qui la rendent capable aujourd’hui de mener des opérations autonomes de maintien de la paix tomme l’opération ARTEMIS au Congo en 2003, ou d’assurer la relève de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine. Mais cette Europe politique, voulue dès l’origine par les fondateurs français de l’Europe, est encore en gestation. Elle représente aujourd’hui le vrai défi de la construction européenne. C’est la raison d’être de la Constitution européenne, voulue par la France dont le rôle a été central dans la préparation de ce traité. L’objet de la Constitution européenne, c’est précisément de poser les fondations de l’Europe politique. Elle y parvient essentiellement de quatre façons : La communauté de valeurs, ce sont les objectifs et les valeurs qui figurent en tête de la Constitution et dans la Charte des droits fondamentaux. C’est la liberté, la tolérance, le respect de la diversité. C’est une vision exigeante de la solidarité. La capacité à promouvoir ces valeurs dansle monde, c’est l’idée, à laquelle la France est plus attachée peut-être que beaucoup d’autres Etats membres, d’une Europe puissance. La Constitution permet d’aller plus loin encore en engageant les Etats membres à se défendre mutuellement en cas d’agression militaire et en créant une Agence européenne de défense. Mais surtout, elle permettra à l’Europe de parler enfin d’une seule voix, celle du futur Ministre européen des Affaires étrangères.

Enfin, qui dit Europe politique dit contrôle démocratique. Dans ce domaine, l’Union a pris du retard. Elle est trop éloignée du citoyen. la Constitution comble largement ce déficit. Parce qu’elle fait du Parlement européen, élu au suffrage universel, un vrai législateur. Parce qu’elle lui donne un contrôle politique sur le choix du Président de la Commission. Parce qu’elle permet pour la première fois aux citoyens européens de participer directement au processus de décision invitant la Commission à faire des propositions de loi dans tel ou tel domaine. C’est une avancée majeure, qui n’existe pas dans la plupart des États membres. En contrepartie, la Constitution donnera à l’Union des moyens d’être plus efficace. En modifiant les règles de vote, en donnant à l’Europe de nouvelles compétences, elle renforcera l’intégration européenne au moment où l’Union s’élargit. Ces réformes institutionnelles permettront de rééquilibrer le poids des États les plus peuplés, comme la France, au sein de l’Union, aujourd’hui insuffisant. Les nouvelles règles de vote au Conseil (qui regroupe les représentants des gouvernements) donneront ainsi à la France un poids dans la prise de décision supérieur de 50% à ce qu’il est actuellement. Ce traité, sans être parfait, a le grand mérite de rendre l’Europe plus forte tout en la soumettant, dans un même mouvement, et de leur représentants, qu’ils soient nationaux ou européens. Cette Constitution est l’aboutissement de cinquante ans d’efforts français pour faire de l’Europe, non seulement un marché mais surtout un acteur capable d’imposer ses valeurs et ses règles dans le jeu sauvage de la mondialisation. Plus que jamais, l’Europe nous regarde. À nous de nous donner les moyens de notre ambition de toujours.