Comment l’IVG devient un sujet de société
Si l’avortement est déjà interdit par l’article 317 du Code pénal, la loi du 31 juillet 1920 renforce sa répression. Elle condamne tout à la fois « la provocation à l’avortement », la révélation de procédés contraceptifs et « la propagande anticonceptionnelle ». Dans le contexte de forte angoisse démographique faisant suite à la Première Guerre mondiale, l’avortement est considéré comme un « péril national ». À la Libération, la lutte contre l’avortement clandestin se poursuit, avec un pic de répression en 1946. Dans les années 1970, environ 400 condamnations par an sont prononcées. Mais l’ampleur du phénomène est bien plus large, puisque certains estiment que plus de 500 000 avortements sont réalisés clandestinement chaque année.
De la mobilisation à la dénonciation
Le caractère répressif de la loi de 1920 est dénoncé, dès les années 1950, par les partisans d’un accès libre aux contraceptifs modernes (diaphragmes, spermicides puis, plus tard, pilules et stérilets) afin, précisément, de prévenir les avortements clandestins et leurs dangers pour la santé des femmes. En 1956, dans un contexte de mobilisation et de dénonciation du problème de santé publique que constituent les avortements clandestins, naît le Mouvement français pour le planning familial, d’abord sous le nom de « La Maternité heureuse ». Après dix ans de mobilisation, la loi du 28 décembre 1967 autorise la vente de contraceptifs, mais reste restrictive sur plusieurs points. Les mineures doivent avoir une autorisation parentale pour obtenir la pilule ou le stérilet ; les pharmaciens tiennent des carnets à souches pour les contraceptifs oraux ; la Sécurité sociale ne rembourse pas les moyens de contraception… Dans le contexte de l’après 1968, des voix s’élèvent pour une libéralisation de l’avortement. Le Mouvement de libération des femmes (MLF), qui émerge sur la scène publique à partir de 1970, porte la revendication de l’avortement libre et gratuit au nom de la libre disposition de leur corps par les femmes. Les militantes du MLF font connaître leur position dans le manifeste des 343 femmes déclarant avoir avorté, publié par Le Nouvel Observateur le 5 avril 1971. Paraphé par des femmes célèbres comme par des militantes anonymes qui ont bravé les interdits légaux et moraux, il fait figure d’événement. L’année suivante les « procès de Bobigny » deviennent les procès politiques de l’avortement.
La fabrique du consensus
Promulguée le 17 janvier 1975 sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, la loi relative à l’IVG constitue une avancée sociétale majeure en France dans la conquête des droits des femmes. Simone Veil, alors ministre de la Santé et porteuse de la loi, trouve les mots pour dénoncer l’injustice qui pèse sur les femmes. Simone Veil défend d’abord une première loi qui libéralise totalement l’accès à la contraception, désormais remboursée par la Sécurité sociale. Elle travaille ensuite à un texte de compromis sur l’interruption de grossesse. À l’issue de débats longs et passionnés, la nouvelle loi est votée grâce au soutien de députés du centre et de la gauche. Simone Veil incarne cette réforme d’ampleur qui, désormais, porte son nom.
De la dépénalisation à la conquête d’un droit
L’application de la loi sur l’IVG s’avère lente et difficile, notamment du fait des résistances du corps médical. Initialement voté que pour une durée de cinq ans, le texte est rediscuté à l’automne 1979 et adopté définitivement. Au fil des ans, la loi sur l’IVG est approfondie : l’acte est désormais remboursé par la Sécurité sociale (1982), les délais sont étendus jusqu’à douze semaines (2001), la notion de détresse est supprimée (2014). En 1993, la loi Neiertz crée le délit d’entrave à l’IVG pour répondre à la multiplication des actions des commandos anti-avortement. Délit qui est étendu au domaine numérique en 2017.
Et aujourd’hui, tandis que le droit recule aux États-Unis, la France a décidé d’inscrire dans la Constitution le recours à l’IVG, premier pays, en Europe, à l’avoir fait.
Commissariat scientifique :
Charlène Fanchon, chargée d’études documentaires, département des Archives privées, direction des Fonds, Archives nationales
Bibia Pavard : maîtresse de conférences en histoire contemporaine, université Paris-Panthéon-Assas Commissariat technique Christophe Barret, commissaire technique ; Régis Lapasin, responsable du service des expositions, département de l’Action culturelle et éducative, Archives nationales
Autour de l’exposition
Pour prolonger l’exposition, un cycle de conférences se tiendra de mars à juin à l’Hôtel de Soubise (participation gratuite sur inscription en ligne sur le site des Archives nationale).
- L’expérience vécue de l’avortement clandestin par Xavière Gauthier, écrivaine et universitaire, et Isabelle Foucrier, productrice à l’Institut national de l’audiovisuel – Samedi 16 mars 2024 – 14 h 30
- Les enjeux de la constitutionnalisation de l’avortement par Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l’université Paris-Nanterre – Samedi 1er juin 2024 – 14 h 30
- Les coulisses de la construction d’un consensus : le vote de la loi Veil en 1974 par Jean-Paul Davin, préfet honoraire et ancien chargé de mission (relations avec le Parlement) au cabinet de Simone Veil – Samedi 22 juin 2024 – 14 h 30
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