Grand Chancelier de la Légion d’Honneur, Chancelier de l’Ordre National du Mérite
Quels sont les grands axes que vous souhaitez développer ?
Votre question n’est pas si simple parce qu’il faut comprendre le rôle du Grand Chancelier, qu’on ne connaît pas suffisamment. C’est le Président de la République qui est Grand Maître de l’Ordre. La Légion d’Honneur est donc remise en son nom. Son objet est de discerner parmi nos concitoyens ceux qui rendent à notre pays des services suffisamment éminents pour être montrés à l’admiration générale par le ruban rouge. Pour ce faire, il utilise ses Ministres, car la Légion d’Honneur est proposée par eux, ce point est fondamental. Et le Grand Chancelier intervient en temps que Président du Conseil de l’Ordre pour vérifier que les propositions faites par les Ministres sont conformes aux objectifs. Mon rôle est donc celui-là et il est essentiel dans le système. Ensuite j’ai deux autres responsabilités en tant que Grand Chancelier ; celle des Maisons d’Éducation, c’est-à-dire des maisons de jeunes filles qui ont été voulues dès le début de l’Ordre en 1804, ce qui était à l’époque atypique et précurseur… La troisième responsabilité qui m’incombe et qui n’est pas mineure est celle du Musée de l’Ordre de la Légion d’Honneur, qui a été complètement remanié par le prédécesseur de mon prédécesseur, le Général Douin.C’est un musée paradoxalement peu connu en France…
Il est absolument remarquable, considéré comme le meilleur du monde par les spécialistes et retrace non seulement l’Histoire de la Légion d’Honneur, mais aussi de ceux qui l’ont précédé comme l’Ordre de Saint-Michel ou l’Ordre de Saint-Louis et les Ordres étrangers. J’ai le souci d’exposer et de trouver des colliers d’ordre de la Monarchie et je profite de cet entretien pour lancer un appel à vos lecteurs. Enfin, dernier élément, mon prédécesseur, le Général Kelche, a souhaité faire en sorte que les légionnaires s’investissent sur un projet pour la Nation au profit des jeunes afin de les aider dans leurs études.
J’avais rencontré à cette époque le Général Kelche, lors du lancement de ce projet. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Il est plus que jamais d’actualité. L’objet de la Fondation « Un avenir ensemble » consiste à aider des jeunes boursiers méritants à partir de la seconde, jusqu’à l’obtention de leur premier emploi. Ils sont parrainés soit par des entreprises soit par des membres de la Légion d’Honneur, de l’Ordre National du Mérite ou de la Médaille militaire. Ils sont sélectionnés grâce à l’Education Nationale parmi les boursiers méritants et l’objet consiste, non pas à leur donner de l’argent, mais à les aider à réaliser leurs études dans des conditions convenables et cela jusqu’à leur premier emploi. C’est un tutorat. Cette Fondation est séparée de la Grande Chancellerie et fonctionne sur fonds privés.
Parmi les évolutions auxquelles le Président de la République tenait, il y avait notamment une féminisation des promus. N’est ce pas illusoire de vouloir mettre des quotas… ?
Dans un monde où tout est parfait, vous avez naturellement raison, mais nous sommes dans une société où il faut encore lutter pour faire à la femme toute la place qu’elle doit avoir et si l’on veut parvenir à un résultat tangible, il est nécessaire d’imposer les choses. Désormais le code de la Légion d’Honneur impose la parité absolue entre hommes et femmes, ce que nous respectons, sauf pour les promotions militaires, car l’accès des femmes aux grandes écoles militaires est encore trop récent pour qu’on puisse justifier de la parité. Pour le reste, nous avons une parité totale qui est vérifiée, mais répartie de manière différenciée selon les Ministères.
Si l’on va au bout de ce raisonnement, cela veut-il dire que précédemment, les mérites des femmes n’étaient pas reconnus ?
Précédemment, le choix des femmes était moins spontané et il a fallu l’encourager. Nous avons des femmes au Conseil de l’Ordre qui veillent avec une grande attention à ce que celles qui sont sélectionnées soient dignes de l’Ordre. C’est ce qui explique en partie que nous n’avons aujourd’hui que 95 000 décorés alors que le code nous en autorise 125 000 ! La parité n’a pas conduit à une braderie de la Légion d’Honneur. Il faut savoir que dans les années 60, nous étions 300 000 !
Comment peut-on appréhender la différence entre les mérites éminents et les mérites distingués ?
Nous ne sommes pas dans une science exacte… La Légion d’Honneur récompense les mérites « éminents » et l’Ordre du Mérite les « distingués ». Cela donne des discussions intéressantes, car il arrive souvent que tel dossier soit proposé par un Ministre pour la Légion d’Honneur et qu’il n’obtienne que le Mérite. Cet Ordre été voulu par le Général de Gaulle pour remplacer la pléthore de médailles de chaque Ministère. N’en sont restées que très peu, comme les Arts et les Lettres, par exemple, cher à Malraux et qui a un tout petit contingent. Je rappellerai également que le ruban rouge vise à récompenser l’élite vivante dans tel ou tel domaine, comme un sportif qui a remporté une médaille d’or aux Jeux Olympiques. C’est loin d’être une décoration militaire comme certains le croient.
Est-il exact que l’on peut sauter des grades pour les étrangers ?
Oui, un étranger peut directement accéder au grade de commandeur ou à une dignité. C’est notamment le cas d’étrangers décorés lors de visites d’Etat. Pour les Français, sont désormais permises des nominations directes aux grades d’officier et de commandeur, ainsi qu’à la dignité de grand officier afin de récompenser des carrières hors du commun, tant par leur durée que l’éminence des services rendus. Toutefois, ces nominations sont limitées à 2% du contingent annuel pour les grades d’officier et de commandeur et à une seule nomination par an en ce qui concerne la dignité de grand officier. C’est ainsi que Mme Simone Veil a pu accéder directement à la dignité de grand officier de la Légion d’Honneur.
Je reviens sur la Légion d’Honneur… Ne peut-on pas dire que c’est le meilleur ambassadeur de la Francophonie ?
La Légion d’Honneur jouit d’un grand crédit à l’étranger. La plupart des Ordres créés dans les pays étrangers en sont inspirés, y compris dans leurs grades. Elle a survécu à l’Empire et a connu un boom avec la guerre de 14-18. Elle fut notamment décernée aux Américains. Aux États-Unis, elle bénéficie d’un grand prestige. À San Francisco, vous avez même une reproduction de l’Hôtel de Salm. Décorer un industriel ou un artiste étranger est un bon moyen de faire rayonner l’image de la France…
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